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Justice : Des magistrats dénoncent des affectations arbitraires et illégales

Dans cette tribune, deux magistrats, en l’occurrence Train Raymond PODA et Mathias P. NIAMBEKOUDOUGOU, dénoncent certaines nominations récentes dans le corps de la magistrature qu’ils qualifient « d’arbitraires et illégales »

Justice : Des magistrats dénoncent des affectations arbitraires et illégales

Il n’est pas habituel que le magistrat, à titre individuel, s’exprime dans la presse au sujet du traitement qui lui a été réservé dans des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Obligation de réserve oblige ! Si à présent nous rompons le silence, c’est pour dénoncer une grave violation de la loi faite à l’occasion des sessions du CSM des 15 juillet 2014 et 06 février 2015 par les nominations de madame Thérèse TRAORE/SANOU à la présidence de la Cour de cassation et de monsieur Souleymane COULIBALY à la présidence du Conseil d’Etat, deux magistrats moins gradés que messieurs Train Raymond PODA et Mathias P. NIAMBEKOUDOUGOU. Ces nominations sont en flagrante contradiction avec les dispositions de l’article 24 du statut du corps de la magistrature qui disent que : « La nomination à une fonction doit être prononcée de sorte qu’un magistrat ne puisse avoir sous ses ordres un magistrat de grade supérieur ou plus ancien que lui dans le même grade ».

En rappel, le premier président sortant de la Cour de cassation avait en avril 2014 confié l’intérim de la présidence de la Cour à madame TRAORE au lieu de monsieur PODA et le premier président sortant du Conseil d’Etat avait confié à compter du 1er octobre 2014, l’intérim de la présidence du Conseil à monsieur NIAMBEKOUDOUGOU. Malgré cela, à la cérémonie de rentrée judiciaire 2014-2015, monsieur COULIBALY s’est autoproclamé président par intérim du Conseil d’Etat aux motifs qu’il était le plus ancien. Monsieur NIAMBEKOUDOUGOU lui a opposé la note de service lui confiant l’intérim et la liste des magistrats par grade établie par la DRH du ministère de la justice.

En effet, cette liste atteste que monsieur PODA est au grade exceptionnel 4ème échelon pour compter du 1er novembre 2003 et madame Traoré est au grade exceptionnel 4ème échelon pour compter du 11 décembre 2003. De même, monsieur NIAMBEKOUDOUGOU est passé au grade exceptionnel 4eme échelon le 1er septembre 2004 tandis que monsieur COULIBALY y accédait le 11 décembre 2004. En conséquence, monsieur PODA est plus ancien que madame Traoré et monsieur NIAMBEKOUDOUGOU est plus ancien que monsieur COULIBALY dans le même grade exceptionnel comportant quatre échelons. La cabale avait été rendue possible parce qu’à la liste normale et officielle des magistrats par grade, établie par la DRH en vertu de la loi (article 5 du décret n°2005-189 du 04/04/2005, portant modalités de fonctionnement du CSM), il a été substituée une liste falsifiée et officieuse des magistrats par grade, établie par la même DRH, qui y a inclus l’incidence d’une dite « ancienneté conservée ».

Mais, il résulte du rapport du comité de classification des magistrats que « l’ancienneté conservée sert à obtenir un prochain échelon et non pour apprécier l’ancienneté dans les grades et échelons obtenus à des dates différentes ». En conséquence, l’ancienneté conservée des magistrats du 4ème échelon du grade exceptionnel, qui est le terminus pour eux, ne sert plus à rien sinon qu’à des fins inavouées de nominations illégales.

Dès lors, la désignation de madame TRAORE pour l’intérim de la première présidence de la Cour de cassation, entérinée à la session du CSM du 15 juillet 2014, de même que l’arrêté d’intérim du 31 décembre 2014 de madame la Ministre de la justice, entérinant la voie de fait de monsieur COULIBALY pour l’intérim à la première présidence du Conseil d’Etat, sont des nominations des plus illégales qui méritent à ce titre annulation. Ainsi, dès la parution au JO du 27 novembre 2014 de la nomination de madame TRAORE, monsieur PODA a adressé par lettre du 28 novembre 2014 un recours gracieux au Président du CSM pour solliciter la résolution du problème et monsieur NIAMBEKOUDOUGOU a introduit le 09 janvier 2015, devant le Tribunal administratif de Ouagadougou un recours en annulation de l’arrêté ministériel, dont copie communiquée à madame la Ministre.

La session du CSM du 06 février 2015 devrait, entre autres, examiner et statuer sur cette situation, aidée en cela par le rapport du Comité de classification des magistrats mis en place à cette fin le 31 décembre 2014 par la Ministre de la Justice.
Avant de poursuivre, précisons qu’à l’issue de la session du CSM de février 2015, nous avons été reçus par Son excellence monsieur le Président de la Transition, Président du Faso, Président du Conseil supérieur de la magistrature. Nous nous réjouissons sincèrement de l’insigne honneur qui nous a été fait à l’occasion d’une longue et enrichissante audience et exprimons nos sincères remerciements à Son Excellence qui nous a marqué par son extraordinaire esprit d’écoute, ce qui illustre à souhait son attachement à la neutralité dans la gestion de la carrière des magistrats. Revenons-en aux violations qui ont émaillé l’organisation et la tenue de la session du CSM du 06 février 2015.

Au cours de l’organisation de la session

La première violation enregistrée dans la phase préparatoire à la session consiste en ce que madame TRAORE, toujours intérimaire à la Cour de cassation, pour n’avoir pas encore été installée dans ses fonctions, ait été désignée présidente de la commission de proposition de nomination de magistrats dans les Hautes juridictions, alors que sa nomination à ce poste est contestée pour raison d’ancienneté. Monsieur COULIBALY, également intérimaire au Conseil d’Etat est désigné membre de cette commission alors que son arrêté d’intérim est l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir et que la commission doit proposer, entre autres, la nomination d’un premier président du Conseil d’Etat. Voici deux (2) magistrats en situation administrative fragile, auxquels on offre la possibilité de consolider leurs positions, ce en violation de la règle éthique de l’impartialité du juge (articles 22 de la loi n°35-2001/AN du 12 décembre 2001 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement du CSM, 8 du code de déontologie des magistrats, et 340, 342-1, 342-4 du code de procédure civile). Ils sont manifestement en situation de conflit d’intérêt, raison pour laquelle, eux-mêmes, par honnêteté intellectuelle, devaient se retirer de la commission de proposition. Le code de déontologie dispose que « Le magistrat doit s’abstenir de connaître de toutes les affaires où, pour des motifs raisonnables, son impartialité peut être remise en cause ».

Au cours de la tenue de la session

La deuxième violation réside en ce que les débats sur les conclusions des travaux du Comité de classification des magistrats, madame TRAORE et monsieur COULIBALY aient assisté aux débats sur l’ancienneté dans la magistrature alors qu’ils étaient directement concernés par l’issue du débat sur l’ancienneté. Ils ne pouvaient y participer sans être à la fois juges et parties. Ils violent à nouveau la règle éthique de l’impartialité du juge (articles 22 de la loi n°35-2001/AN du 12 décembre 2001 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement du CSM, 8 du code de déontologie des magistrats, et 340, 342-1, 342-4 du code de procédure civile). S’ils ne l’ont pas fait, il appartenait aux autres membres du CSM de le faire conformément à l’article 22 de la loi portant fonctionnement qui dit bien que : « Un membre du CSM ne peut participer aux délibérations le concernant ».

La troisième violation vient de ce que les membres du CSM n’aient pas remis en jeu le poste de madame TRAORE à la présidence de la Cour de cassation, et de ce qu’ils ont en outre proposé la nomination de monsieur COULIBALY à la présidence du Conseil d’Etat alors que le débat sur « l’ancienneté conservée » avait été tranchée par le comité de classification des magistrats qui a amplement motivé sa position. Pourtant, le rapport dudit comité souligne très clairement que « … l’ordre de classement des magistrats par grade et échelon doit se baser sur la date d’accession à l’échelon du grade concerné (l’ancienneté conservée doit être mise en mémoire pour de futurs avancements) ». Le comité avait alors invité la DRH à « supprimer l’incidence de l’ancienneté conservée de sa liste de classification des magistrats ».

Le contenu de ce rapport confirme ainsi la violation des dispositions de l’article 24 du statut de la magistrature que nous n’avons cessé de dénoncer, et si ce rapport avait été pris en compte par les membres du CSM, l’annulation de la nomination de madame TRAORE s’imposait et surtout, la nomination de monsieur COULIBALY ne pouvait plus se faire.

La quatrième violation résulte du recours à la calomnie sans que les victimes ne puissent s’en défendre. Ainsi, à l’endroit de monsieur NIAMBEKOUDOUGOU, il aurait été prétendu que c’est par sa faute que le Burkina Faso avait perdu le poste de Directeur général de l’ERSUMA. Grossier mensonge destiné à salir sa réputation pour mieux le disqualifier, alors que notre pays a perdu ce poste en raison de l’abandon en 2008 des Arrangements de N’Djaména pris en 1996 et en vertu desquels la Direction générale de l’Ecole revenait au Burkina Faso.

La cinquième violation découle du recours au vote et au téléphone pour la proposition de nomination. Alors que de manière générale, la règle du consensus est utilisée par les membres du CSM lors des débats relatifs aux nominations, il est fait recours au vote sur le cas de monsieur NIAMBEKOUDOUGOU. Il convient de rappeler que l’ancienneté dans la magistrature est à l’image de celle dans l’Armée, où il est exclu, pour un poste de commandement, de passer au vote entre un colonel et un commandant. Monsieur PODA a téléphoniquement été saisi d’une proposition de nomination au poste de chargé de mission dans l’objectif évident de faire place nette à madame TRAORE à la présidence de la Cour de cassation, ce alors que cette forme de consultation n’est prévue par aucun texte et que le déplacement projeté viole la sacro-sainte règle de l’inamovibilité du magistrat du siège (articles 5 du statut de la magistrature et 19 du décret portant modalités de fonctionnement du CSM).

EN CONCLUSION

Il n’est pas exagéré de conclure que « trop c’est trop », à un moment où l’on proclame de bonne foi que « plus rien ne sera comme avant », d’autant plus que c’est la première fois, depuis la création en 2000 des Hautes juridictions, que des magistrats moins gradés que d’autres sont proposés et nommés à la présidence de la Cour de cassation et à la présidence du Conseil d’Etat. En tant que citoyens, nous avons jugé utile d’alerter l’opinion nationale et internationale sur les graves irrégularités ci-dessus, afin que citoyens et gouvernants, leaders politiques et organisations de la société civile, touchent du doigt les dérives de la chaîne de fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature et saisissent l’occasion des Etat généraux de la justice pour alimenter les réflexions sur la réforme du CSM et imaginer les thérapies les mieux adaptées à administrer.

Le Président de la Chambre sociale de la Cour de cassation
Train Raymond PODA, Officier de l’Ordre National

Le Président de Chambre du Conseil d’Etat
Mathias P. NIAMBEKOUDOUGOU, Officier de l’Ordre National

EXTRAITS DE LOIS ET REGLEMENTS

Art. 231 alinéa2 de la loi n°013-98/AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique « l’ancienneté conservée après le reversement sera prise en compte pour le prochain avancement d’échelon ».

Art. 5 du décret n°2005-189 du 4 avril 2005 portant modalités de fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature : « Les listes des magistrats électeurs, par grade, sont dressées par le Directeur des ressources humaines du ministère de la Justice et affichées sur les lieux des élections dix jours au moins avant la date des élections. Dans les cinq jours qui suivent l’affichage, les électeurs peuvent vérifier les inscriptions et présenter une demande de rectification à l’autorité qui a dressé la liste ».

Art. 18 du décretn°2005-189 du 4 avril 2005 portant modalités de fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature : « Lorsque le Conseil supérieur de la magistrature est appelé a à faire des propositions de nomination des magistrats du siège de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes et des premiers présidents des cours d’appel, il est procédé ainsi qu’il suit : le président du Conseil supérieur de la magistrature désigne cinq membres constituant une commission chargée de faire des propositions de nomination sur la base d’un rapport motivé à la prochaine session du Conseil. Ces propositions doivent tenir compte notamment des conditions exigées par le statut de la magistrature pour accéder à ces fonctions. […] ».

Art. 22 de la loi n°35-2001/AN du 12 décembre 2001 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature : « Un membre du Conseil supérieur de la magistrature ne peut participer aux délibérations le concernant. Dans ce cas, il est invité à se retirer de la salle et est remplacé, le cas échéant, par son suppléant ».

Art. 8 du code de déontologie du magistrat : « Le magistrat doit s’abstenir de connaître de toutes les affaires où, pour des motifs raisonnables, son impartialité peut être remise en cause ».

Art. 340 du code de procédure civile : « Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre juge […] ».

Art. 342-1 du code de procédure civile : « La récusation d’un juge peut être demandée, si lui-même ou son conjoint ou l’un de ses proches a un intérêt personnel à la contestation ».

Art. 14 de la loi organique n°13-2000/AN du 9 mai 2000 portant organisation, attributions, fonctionnement de la Cour de cassation et procédure applicable devant elle : « Le Premier Président préside toute chambre de la Cour quand il l’estime nécessaire. Chaque chambre, à défaut de son président et du président de la Cour, est présidée par le plus ancien des conseillers ; l’ancienneté se règle par le grade, la date d’intégration dans le corps et l’ordre de nomination à la Cour ».



05/03/2015
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