SAKISIDA

Les Indépendants du Kadiogo veulent la révision du code électoral

A la faveur des élections couplées du 2 décembre 2012, descitoyens burkinabè ont décidé de faire valoir leur droit constitutionneld’éligibilité en constituant une liste électorale pour le scrutin législatif dansla province du Kadiogo. Dénommé « Les Indépendants du Kadiogo », ces citoyensse sont vus refuser par la CENI le droit de déposer leurs dossiers decandidatures en vue de prendre part à la compétition électorale alors qu’ils en ont pleinement le droit au regard de la loi constitutionnelle.

Par ce geste, que d’aucuns considèrent à tort comme une simple plaisanterie, voire une provocation, les « Indépendants du Kadiogo » relancent le débat sur les candidatures indépendantes. Contrairement à la plupart des pays du monde, la pratique politique a tendu à interdire aux
citoyens de participer aux élections législatives et locales en tant que candidats indépendants et les a obligé à s’affilier à un parti ou formation politique pour jouir d’un droit pourtant explicitement reconnu par la Constitution.

 Convaincue de la justesse du combat initié par ces citoyens et engagée à défendre la Loi fondamentale, la société civile burkinabè a décidé de leur apporter un soutien et d’instaurer un débat citoyen sur cette question fondamentale dont les enjeux sont importants pour la consolidation de notre système démocratique. Ainsi est née la coalition des organisations de la société civile pour les candidatures indépendantes qui regroupe plusieurs associations actives dans le domaine de la gouvernance démocratique, de la promotion et de la protection des droits de l’homme.

Il convient de rappeler que ce combat pour l’application des candidatures indépendantes ne date pas d’aujourd’hui. En effet, il vous souviendra qu’en 2006, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) avait lancé une pétition dans ce sens pour amener les autorités
de notre pays à restituer au peuple souverain le droit qu’il s’est lui-même octroyé par référendum le 2 juin 1991. Les tracasseries administratives et le sabotage politique n’ont pas permis l’aboutissement de cette initiative qui avait malgré tout révélé, par l’enthousiasme et l’intérêt qu’elle a suscité
auprès des citoyens, l’engagement de notre peuple à faire valoir sa souveraineté. C’est pourquoi, le MBDHP a prévu de rééditer cette pétition autour de laquelle un large front citoyen sera constitué. Le plaidoyer de la Coalition pour les candidatures indépendantes se fonde sur des arguments
juridiques et politiques.

I. L’interdiction des candidatures indépendantes est une violation de la Constitution

D’abord, au plan juridique, nous partons du constat que la Constitution du 11 juin 1991 consacre un État de droit, c’est-à-dire un État dans lequel les citoyens sont égaux devant la loi. Ce que l’article premier de la Constitution reconnait en ces termes : « Tous les Burkinabé naissent libres et égaux en droits. Tous ont une gale vocation à jouir de tous les droits et de toutes les libertés garantis
par la présente Constitution. Les discriminations de toutes sortes, notamment celles fondées sur la race, l'ethnie, la région, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la caste, les opinions politiques, la fortune et la naissance, sont prohibées ».
La pratique d’interdiction des candidatures indépendantes instaure une discrimination entre les citoyens appartenant à des partis politiques et ceux ayant choisi de ne pas militer dans un parti politique.

Au Niger, la Cour suprême, dont l’avis avait été sollicité en 1992 sur l’interdiction des candidatures indépendantes aux élections présidentielles, avait réaffirmé avec force ce principe. Son argumentaire
mérite d’être cité: « L'article 8 de l'avant-projet de constitution dispose que " La République du Niger est un État de droit et ue tous les citoyens sont égaux devant la loi " ; que cela signifie qu'il ne doit y avoir aucune discrimination de quelque nature que ce soit entre les citoyens nigériens et partant que tous les citoyens candidats aux élections même présidentielles doivent être égaux devant la loi ; qu'il n'est donc pas permis de faire une discrimination politique entre les candidats selon qu'ils
appartiennent ou non à des
partis politiques pour accepter ou rejeter leur candidature ; que par conséquent l'article 84 du Code électoral qui exige des candidats une adhésion à un parti
politique constitue bien une discrimination entre les candidats et porte ainsi gravement atteinte aux droits et libertés des citoyens
 ». En clair, l’interdiction des candidatures indépendantes est contraire au principe de l’État de droit qui prône l’égalité des citoyens devant la loi et la primauté de la
Constitution sur les textes de portée législative. La Constitution burkinabè en son article 13 (alinéa 2)
dispose que les partis politiques « concourent à l'animation de la vie politique, à l'information et à l'éducation du peuple ainsi qu'à l'expression du suffrage ». Selon la jurisprudence malienne, le verbe « concourir » veut dire que les partis politiques ne sont pas censés être les seuls à jouir de ce droit politique. Ce faisant, la loi électorale ne peut pas ignorer les dispositions de la Loi fondamentale. En la matière, l’article 12 de la Constitution garantit le droit d’éligibilité : « Tout Burkinabé jouit des droits
civiques et politiques dans les conditions prévues par la loi
 ». L’article suivant est plus explicite sur la question : « Tous les Burkinabé sans distinction aucune ont le droit de participer à la gestion des affaires de l'État et de la société. A ce titre, ils sont électeurs et éligibles dans les conditions prévues par la loi ». Si l’on autorise les candidatures indépendantes aux élections présidentielles, pourquoi le refuse-t-on pour les élections législatives et locales ? Il y a là une incongruité et une incohérence qu’il convient de relever et de dénoncer. On pourrait rétorquer que la loi peut légitimement aménager
un droit constitutionnel, c’est-à-dire édicter des règles pour réglementer son application. Cependant, lorsque ces règles sont contraignantes au point d’annihiler le droit lui-même, on est dans un contexte de violation de la Constitution. Et c’est justement le cas de l’interprétation tendant à interdire les candidatures indépendantes aux élections législatives et locales car obliger les citoyens à adhérer ou à créer un parti politique signifierait que le législateur remet en cause le droit d’éligibilité que la Constitution reconnait aux citoyens. Comme l’a souligné le juge constitutionnel malien en 1996, « la mise en œuvre des droits politiques d’un citoyen n’est pas fonction et ne saurait être fonction de son adhésion à un parti ».

D’ailleurs, en suivant le juge constitutionnel du Niger, on peut affirmer que le principe de la liberté d’association est foulé du pied. Ceci parce que l’adhésion à un parti politique est libre. On ne peut donc pas obliger un citoyen à adhérer à un parti politique ou à toute autre association. Or, en faisant de l’appartenance à un parti une condition pour être candidat aux élections législatives et locales, n’a-t-on pas annulé la liberté d’association ?

Outre la Constitution, l’interdiction des candidatures indépendantes viole de nombreux instruments internationaux dont le Burkina Faso est partie. A cet effet, l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[1]
dispose : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables :
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis.

 b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel
et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs.

 c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ». Des dispositions similaires existent dans la déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (d’ailleurs récemment constitutionnalisées par le préambule de la Constitution du 11 juin 1991) ainsi que dans de nombreux autres instruments internationaux ratifiés par le Burkina Faso. Au-delà des considérations juridiques, des arguments
politiques militent en la faveur des candidatures indépendantes.

II. Les candidatures indépendances : une réforme susceptible de consolider la gouvernance
démocratique

A regarder de près les processus électoraux dans notre pays, on est obligé de reconnaitre qu’une désaffection politique s’installe d’année en année, comme l’atteste avec éloquence les résultats mitigés de l’enrôlement biométrique qui vient de s’achever. Une des raisons essentielles du désintérêt des citoyens aux élections est l’interdiction des candidatures indépendantes. Ils sont nombreux les citoyens de grande valeur et d’expérience à vouloir jouir de leur droit d’éligibilité garanti par la Constitution en se présentant aux élections locales ou législatives. Mais la pratique de l’interdiction des candidatures indépendantes les amène soit à adhérer à des partis dont ils ne partagent pas les positions idéologiques (si idéologie il y a) soit à s’abstenir. Cette situation est porteuse de frustrations pour les électeurs qui expriment leur désarroi par l’absentéisme électoral et parfois, comme le voit presque jour, par des actes de défiance envers l’autorité de l’État. Avec l’application des candidatures indépendantes, il y a de nombreux hommes et femmes politiques qui peuvent valablement remplir des mandats électifs au niveau national et local sans avoir à négocier un classement sur la
liste d’un parti politique. Au Ghana voisin, et par ailleurs modèle de bonne gouvernance et de démocratie en Afrique, la loi interdit aux partis politiques de prendre part aux élections locales, lesquelles se font uniquement sur la base des candidatures indépendantes. Au Burkina Faso, le monopole des partis politiques aux élections législatives et locales est un non-sens, une
aberration politique qui ne doit plus perdurer. En analysant le fonctionnement des institutions comme l’Assemblée nationale et les conseils municipaux, il apparait que l’influence des pesanteurs partisanes sur les élus empêche l’effectivité des principes de la séparation des pouvoirs. En effet, les députés et élus locaux, par allégeance au parti, se détournent de leurs obligations juridiques et politiques qui leur imposent une fonction de contre-pouvoir. La manifestation de toute velléité d’indépendance est sanctionnée lors de la constitution des listes électorales. Le pouvoir sur les listes électorales devient ainsi un moyen de contrôle politique au service des dignitaires des partis politiques. Sans être général, ce phénomène affecte la majorité des partis politiques. S’il est clair que l’incapacité des partis politiques à encadrer politiquement les citoyens et à animer la vie politique milite en la faveur des
candidatures indépendantes, il faut cependant souligner que la société civile n’érige pas ce mécanisme en une alternative au système partisan. Les candidatures indépendantes peuvent au contraire renforcer à moyen et long terme le système partisan en améliorant la gouvernance interne et l’image des partis auprès des citoyens. Cette réforme n’a pas pour vocation de supprimer ou
affaiblir les partis politiques qui restent des institutions incontournables de la démocratie pluraliste. L’expérience du Niger le montre clairement dans la mesure où malgré l’autorisation des candidatures indépendantes, il n’existe aucun député indépendant à l’Assemblée nationale. Cela indique que tant que les partis respectent leurs propres règles du jeu et restent attentifs aux demandes
des citoyens à la base, les indépendants ne peuvent en aucun cas constituer une menace pour leur hégémonie. D’ailleurs, si on interroge l’histoire des partis politiques en occident, l’on comprendra que les candidatures indépendantes conduisent objectivement au phénomène partisan. L’introduction des indépendants dans le jeu électoral, loin d’être un facteur « antiparti », constitue au contraire un mécanisme de promotion et d’ancrage des partis politiques en tant qu’institutions solides,
légitimes et porteuses d’alternatives crédibles. Fondée sur ces arguments juridiques et politiques, la Coalition pour les candidatures indépendantes entend user de tous les moyens légaux pour faire aboutir cette légitime revendication. A cet effet, outre le plaidoyer et la mobilisation citoyenne qu’elle a planifié sur l’ensemble du territoire national, elle continuera à soutenir sans relâche les Indépendants du Kadiogo dans la bataille juridique qu’ils entendent engager devant les juridictions nationales et régionales (CEDEAO).

 



[1] Ce texte a été adopté par l’Assemblée générale des Nations-unies le16 décembre 1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976



26/10/2012
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