SAKISIDA

Lettre ouverte à Mariam SANKARA: «Votre mari aussi a fait des veuves»

mariamThomas SANKARA n’est pas le premier “cadavre politique” du Burkina (1).
Les autres ont aussi pu, tant bien que mal, commémorer le 20e anniversaire de l’assassinat de Thomas SANKARA. A grand renfort d’agit-prop et de petits mensonges ou de demi- vérités savamment distillés (sur la location des salles par exemple).

Une galaxie sankariste d’autant plus aux anges que Mariam SANKARA, après 20 ans d’exil, a débarqué le 14 octobre pour repartir dès le lendemain, une gerbe de fleurs à peine déposée sur la sépulture de son légendaire époux. Pain béni que cette arrivée qui a donné un éclat particulier au 15-Octobre des sankaristes, en ressoudant leurs rangs. Un bon coup de com. aussi car l’événement, c’était elle ; y avait

pas match et elle a ainsi fait de l’ombre au camp présidentiel qui n’en menait vraiment pas large.
Cela dit, je trouve qu’il ne faut pas pousser trop fort le bouchon de la propagande et de l’indignation sélective dans un pays où, quoiqu’on dise, chacun a ses martyrs. J’observe d’ailleurs que Radio France Internationale (RFI) n’a pas su, hélas, s’élever au-dessus de la mêlée (je comprends maintenant pourquoi on les accuse souvent de parti pris) et à passer le temps à dire que Mariam «a pu rentrer» au Burkina après vingt ans d’exil. «A pu» c’est-à-dire donc qu’elle en a été empêchée jusque-là. Ce dont je doute fort.

Que pendant les premières années qui ont suivi l’assassinat de son mari, il n’était pas sûr que sa sécurité fût garantie, et peut-être même que le nouveau régime préférait la voir loin d’ici, on peut le comprendre. Mais qui peut croire aujourd’hui à cette fable selon laquelle elle ne pouvait pas rentrer depuis. Que pour des raisons sentimentales ou autres, elle veuille s’éloigner du pays, on veut bien, mais c’est un choix délibéré et elle est libre de venir ou de rester. Si ça se trouve d’ailleurs, elle se sent mieux là-bas et il ne faut quand même pas la prendre au collet pour venir l’installer de force à Ouaga. Au fait, ses enfants Philippe et Auguste qui n’étaient pas du récent voyage de leur mère pour «raison de calendrier» vont-ils continuer à tourner le dos à leur patrie ou vont-ils, eux aussi, se résoudre à «pouvoir rentrer» un jour ?
Autre chose qui mérite qu’on rappelle quelques vérités fondamentales de l’histoire récente de notre pays, c’est le côté un peu dérangeant de la victimisation à outrance. Mariam SANKARA est la veuve d’un ancien président, et pas n’importe lequel. Ne serait-ce que sur le plan humain, on peut compatir surtout au regard des circonstances dans lesquelles le héraut de la révolution burkinabé a trouvé la mort et c’est normal que ses ayants-droit saisissent toutes les instances qu’ils jugent utiles pour que vérité et justice soient. Mais autant que je sache, ce n’est pas le premier «cadavre politique» de cette patrie des hommes intègres.

Au début était Nézien

Car enfin, c’est quand même sous le Conseil national de la Révolution, quand l’ange Thomas régnait donc, qu’on a enregistré les premières victimes de la violence en politique avec un prologue sous le CSP1 (les révolutionnaires tenaient déjà les leviers du pouvoir avec Thom Sank Premier ministre) quand en 1982 Nézien BADEMBIE, officier supérieur de gendarmerie sera assassiné. Les loups étaient déjà dans la bergerie et ça ne n’était que l’apéro.
Puis, quelques jours seulement après la nuit historique du 4-Août 1983, ce fut au tour du colonel SOME Yorian Gabriel et du commandant Fidèle GUEBRE qu’on avait respectivement fait venir de Ouahigouya et de Dédougou sous prétexte de « discussions » avec les jeunes Turcs de la Révolution. Ils ne ressortiront pas vivants du traquenard du Conseil de l’Entente. Ça s’appelle d’ailleurs trahir sa parole d’officier.

Puis, il y eut les conjurés de la Pentecôte passés par les armes le 11 juin 84 après un simulacre de procès pour «tentative de putsch». Etaient de cette fournée le colonel Didier KIENDREBEOGO (qui fut maire de Ouaga), les lieutenants Moumouni OUEDRAOGO et Maurice OUEDRAOGO, l’ex-adjudant chef major de gendarmerie, Barnabé KABORE, le sergent du RCS Moussa KABORE, l’homme d’Affaires Adama OUEDRAOGO et le pilote d’Air Burkina Issa Anatole TIENDREBEOGO. Ils seront hâtivement (déjà !) enterrés à Tanghin dans des tombes anonymes.
Eux aussi ont laissé des veuves, eux aussi ont laissé des orphelins. Ils ne sont sans doute pas aussi mythiques et vendables que Thomas le béatifié, mais eux aussi ont droit à la compassion surtout que, dans son malheur, on peut même dire que Mariam a été heureuse puisqu’elle a tout de suite été recueillie par la «solidarité internationale» et la mouvance sankariste, au contraire des autres veuves que son mari a faites et qui ont dû bouffer la vache enragée. Dignement et dans l’anonymat.

J’aurais d’ailleurs été Mariam que j’aurais approché, en toute humilité, ces femmes et ces enfants devenus veuves et orphelins du fait de la violence en politique quand mon Thomas était aux affaires. Qu’on ne me dise que ces tueries n’étaient pas le fait de saint Thomas sinon, comme on l’entend souvent, elles auraient ipso facto cessé dès lors qu’il n’est plus là. L’argument est certes séduisant mais, il a quelque chose de spécieux et confine même au sophisme. Car c’est oublier que la boîte de pandores ouverte par ceux-là qui soutenaient que «tant que le sang ne va pas couler sur cette terre des hommes intègres, on n’avancera pas», elle a libéré tous les malheurs du Burkina et nous continuons à en payer le prix fort.

C’est bien connu, les mauvaises habitudes ont la vie dure de sorte que nous continuons de traîner des survivances des Etats d’exception, particulièrement des années de braise révolutionnaire et de son succédané du Front populaire. Et puis, après tout, c’est quand même Thomas SANKARA qui était le chef et il faut bien qu’on mette sur son dos ce lourd passif au lieu de l’en absoudre à bon compte pour ne retenir que l’actif.

Je veux donc bien qu’on vitupère du haut des tribunes et dans les médias contre Blaise COMPAORE et ses «20 ans de renaissance démocratique» sous étroite surveillance. Surtout que, malgré des efforts manifestes (reconnus même par Me Bénéwendé SANKARA dans Jeune Afrique N°2440 du 14 au 20 octobre dernier), il ne parvient même pas à répondre conséquemment aux nombreux soucis qui assaillent ses compatriotes (c’est lui qui a dit qu’il peut, il n’a qu’à peut donc on va voir).

Pis, il a laissé s’installer, tel un cancer qui se métastase, la corruption, le clientélisme, la fraude (économique, scolaire…), le laisser-aller, etc. toutes choses qui annihilent les efforts de développement. Mais je veux aussi qu’on arrête de nous jouer le disque plutôt rayé de la veuve des veuves, car elle n’est pas plus veuve que les autres et ce n’est pas parce que les maris de ces dernières n’ont pas été présidents, célèbres et charismatiques qu’on doit les prendre pour de vulgaires lapins de garenne..o

KAFANDO Enoch Ghislain Wendenda
In L’Observateur Paalga n° 6999, p 11.

L’OPINION



14/03/2015
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