Armée burkinabè : Gilbert Diendéré, la discrétion assurée
Gilbert Diendéré. C’est lui le chef d’état-major particulier du président Compaoré. La mémoire du régime, l’homme de l’ombre depuis plus d’un quart de siècle... Enquête sur un soldat qui sait tout, mais ne dira rien.
On lui donnerait le bon Dieu sans confession à ce grand gaillard. Il doit faire près de 1,95 m et chausser du 50 mais, dans le treillis qu’il semble ne jamais quitter, il ressemble à un enfant qui se cache derrière les jambes de sa mère quand on lui présente un inconnu. S’il tend une main ferme pour saluer, c’est par un « bonjour » presque gêné qu’il répond. Quand il parle, il faut tendre l’oreille. L’habitude des messes basses, peut-être...
On a peine à le croire, mais il s’agit bien du général Gilbert Diendéré, le chef d’état-major particulier du président, l’homme le plus puissant du Burkina Faso après Blaise Compaoré lui-même. En août 1983, quand Thomas Sankara a proclamé la révolution, ils étaient trois officiers à ses côtés : Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo. Diendéré était le cinquième homme. En retrait certes, mais déjà au coeur du système.
C’est lui qui dirige depuis trente ans les soldats d’élite du Burkina, le Régiment de la sécurité présidentielle (RSP). Mille hommes que le reste des troupes jalousent tant ils sont choyés ; cinq groupes de commandos formés aux situations les plus extrêmes dans le fameux Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô. « Le RSP, c’est une armée parallèle, glisse un ministre aux compétences régaliennes. À eux seuls, les hommes de Diendéré pourraient mater le reste des troupes. Ils sont bien formés et très bien armés. »
À 53 ans, Diendéré est aussi le big boss des renseignements généraux. « L’homme le mieux informé du pays », souffle un journaliste. Peut-être même de la région. En mars, il admettait avoir été mis au courant qu’un putsch était en préparation en Guinée-Bissau (il sera mis à exécution le 12 avril). En avril, au retour d’une énième mission dans le nord du Mali, et avant même que la victoire des milices islamistes sur les combattants du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) ne se dessine, il nous annonçait la débâcle des rebelles touaregs.
Rien ne lui échappe, et ils ne sont pas nombreux à pouvoir en dire autant. Les RG étant éclatés en quatre services distincts (gendarmerie, police, douanes et armée), seule la cellule de coordination qu’il dirige depuis la présidence dispose de l’ensemble des données. Sans oublier les précieuses informations que lui transmettent les Américains et les Français. C’est ici, à Ouaga, que des troupes d’élites françaises se préparent à intervenir à tout moment. Ces commandos s’entraînent d’ailleurs régulièrement avec ceux du RSP. Diendéré lui-même ne dit pas non à un petit exercice de temps en temps. Il y a quelques mois, il a sauté en parachute avec l’ambassadeur français en poste à Ouaga, le général Emmanuel Beth. À cause d’un orage, le saut a mal tourné. Beth a fini à l’hôpital, Diendéré s’en est sorti avec quelques contusions.
Réseau d’informateurs
Cette étroite collaboration qu’il s’évertue à garder secrète ne l’empêche pas de porter un regard critique sur ses amis occidentaux. Prenez la Libye : quand Kaddafi est tombé, des colonnes de pick-up transportant des Touaregs surarmés ont fui vers le Mali. Et pourtant, les Français et les Américains n’y ont vu que du feu. « Il y a des satellites partout, mais il n’y a plus personne sur le terrain », déplore-t-il. Lui compte encore sur la matière humaine pour s’informer. À Ouahigouya, une ville stratégique située près de la frontière avec le Mali, il a mis en place un réseau efficace d’informateurs volontaires. Et ce bien avant que le MNLA, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ne prennent le Nord.
Il sait tout, et c’est bien ce qui le rend « intouchable » - le terme est d’un proche collaborateur de Compaoré - même si (ou peut-être parce que) il n’a aucun poids politique. En 2011, après les violentes mutineries qui ont enflammé la quasi-totalité des casernes du pays, l’ensemble de la chaîne de commandement de l’armée a été renouvelé. À une exception près : le général Diendéré. Le RSP s’était pourtant rebellé lui aussi, à l’intérieur même du palais présidentiel. « N’importe quel autre officier aurait été viré », croit savoir un officier de réserve.
Tous ceux qui se sont attaqués à lui se sont brûlé les ailes. Le général Lougué, alors chef d’état-major, a tenté de réduire son poids en 2000 : il est aujourd’hui dans un placard à la primature. Même Hyacinthe Kafando, protégé de Compaoré depuis la rectification (la période qui a suivi la révolution, de 1987 à 1992), a échoué. Accusé d’avoir fomenté un coup d’État en 1996, il a disparu pendant cinq ans pour échapper à une arrestation certaine, avant de réapparaître en 2001. Il avait eu le malheur de comploter contre Diendéré.
Mais Diendéré, c’est aussi la mémoire du régime. À chacune des étapes qui ont marqué l’histoire récente du Burkina, « Gilbert » était là. C’est le cas en 1987. Le 15 octobre, Diendéré « supervise » l’arrestation de Sankara, qui tourne au bain de sang. Vingt-cinq ans après, on ne sait pas encore ce qu’il s’est réellement passé, ce jour-là, au siège du Conseil national de la révolution. Diendéré dirigeait déjà les commandos de Pô chargés d’assurer la garde de Sankara. On l’aurait entendu dire à ses hommes qu’il fallait « neutraliser à tout prix le PF », le président du Faso. Était-il présent sur les lieux ? Les rares témoins encore en vie disent l’avoir vu arriver après la tuerie. Boukary Kaboré, un fidèle de Sankara qui dirigeait à l’époque une autre unité d’élite basée à Koudougou, pense qu’il a été « surpris » par la tournure des événements.
Pour entendre la version du général, et parce que, depuis, il se tait, il faut relire l’ouvrage de Ludo Martens (Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè, EPO, 1989). Diendéré y déclare ceci : « [Nous avons été prévenus] que Compaoré, Lingani et Zongo seraient arrêtés ce soir. [...] Notre réaction a été qu’il fallait arrêter Sankara avant que l’irréparable ne se produise. [...] Sankara tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique, à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. À ce moment, tous les hommes se sont déchaînés. »
Pas très causant
Au moment des faits, Diendéré est déjà le fidèle bras droit de Compaoré. En 1981, quand Compaoré a hérité du commandement du CNEC, à Pô, il a fait de ce jeune sous-officier son adjoint. Quand se sont-ils rencontrés ? Mystère. Mais le lien entre les deux hommes, c’est peut-être le commandant Lingani, le n° 3 sous la révolution, qui l’a fait. Lingani était le parrain de Diendéré au Prytanée militaire de Kadiogo (PMK). Il l’appréciait. À l’époque déjà, Diendéré n’est pas très causant. « Il souriait, mais ne disait pas un mot, se rappelle Philippe Ouédraogo, ministre dans le premier gouvernement de la révolution. C’était impossible de deviner ce qu’il pensait. » Aujourd’hui, un de ses proches collaborateurs dit de lui qu’il est « extrêmement discret et très discipliné » et qu’on « ne peut jamais savoir quelle est sa position ». Originaire de la région de Yako, dans la province du Passoré, comme Sankara, le jeune Gilbert s’est installé à Ouagadougou avec sa famille dans les années 1970. Ils sont pauvres. Son père, militaire mossi, ne dépassera jamais le grade de caporal. Gilbert, lui, aime le foot et les filles. Comme beaucoup de fils de militaires, il intègre le Prytanée.
On le retrouve en 1981 sous les ordres de Compaoré. Le 4 août 1983, il joue un rôle majeur dans la prise du pouvoir par les révolutionnaires en menant ses troupes jusqu’à Ouagadougou. C’est lui qui annonce à la radio le coup d’État. Il est 22 heures. « Peuple de Haute-Volta, le capitaine Thomas Sankara vous parle... »
Il est de tous les coups « et tire à chaque fois son épingle du jeu », note Philippe Ouédraogo. Est-il « l’homme des basses besognes », comme ses détracteurs aiment à le qualifier ? « Il est très fin, estime un ami d’enfance, un opposant à Blaise Compaoré. Jamais il ne se promènerait un colt à la main dans la rue. Il a peut-être échafaudé des plans, mais je ne crois pas qu’il les ait exécutés lui-même. »
Le 18 septembre 1989, il déjoue une tentative de coup d’État qui - selon la version officielle - aurait été fomentée par Lingani et Zongo, ses deux vieux compagnons d’armes. Lingani lui aurait fait part de leur plan et Diendéré en aurait informé Compaoré avant de procéder aux arrestations des présumés putschistes. Ils seront passés par les armes dans la nuit. Quelques jours plus tard, Diendéré est nommé secrétaire général du comité exécutif du Front populaire - autrement dit numéro deux du régime. Le voilà chargé de la défense et de la sécurité. Il n’a que 30 ans.
Vingt ans plus tard, Diendéré est resté fidèle à Compaoré. Il a été son homme de confiance sur bien des dossiers. Quand le Libérien Charles Taylor reprenait des forces à Ouaga avant de repartir en guerre, c’est lui qui s’en occupait. Idem pour l’Ivoirien Guillaume Soro au début des années 2000, avant sa fulgurante ascension. Même chose pour le Guinéen Moussa Dadis Camara depuis deux ans. C’est lui aussi qui, selon des témoins cités dans un rapport de l’ONU, a géré le transit à Ouaga d’armes ukrainiennes destinées à la Sierra Leone à la fin des années 1990.
Lui qui, selon les principaux intéressés, s’occupait d’envoyer au Liberia en guerre des mercenaires burkinabè. Lui qui s’est rendu au Tchad, le 1er décembre 1990, le jour même où Hissène Habré fuyait N’Djamena. Lui, enfin, qui fut au coeur de l’affaire David Ouédraogo, ce chauffeur accusé par la femme de François Compaoré, le frère et conseiller de « Blaise », de leur avoir dérobé de l’argent. Ce sont les hommes de Diendéré qui ont arrêté David Ouédraogo et ont tenté de lui extorquer des aveux, avant qu’il ne soit donné pour mort en janvier 1998. Un an plus tard, le journaliste Norbert Zongo, qui a révélé l’affaire, mourra dans l’incendie criminel de sa voiture.
Sale coup
Aujourd’hui, Diendéré suit de près le dossier malien. Il s’est transformé en libérateur d’otages (lire encadré), la nouvelle spécialité du Burkina. Diendéré, c’est un homme de l’ombre, un vrai. « Le pouvoir ne l’intéresse pas », assure un proche. Il y a bien eu des bruits le concernant. Dans les années 1990, certains l’ont soupçonné de fomenter un sale coup. Sa femme, Fatou, l’y aurait poussé. « Fatou », députée et membre du bureau exécutif du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir), c’est l’exact contraire de Diendéré. Elle pétille, parle fort, aime la politique et ne cache pas ses ambitions. « Si Blaise est là, pourquoi pas mon mari ? » aurait-elle lâché, un jour, en société. Si elle ne refuse pas la lumière, lui la fuit comme la peste. Hormis quelques apparitions dans la presse et de rares décorations, il est invisible. « On ne le voit pas en ville », indique un journaliste. Et lorsqu’on lui parle de faire son portrait, il se braque. « Je ne veux pas. » Pourquoi réveiller les vieux démons ?
Sa spécialité ? Faire libérer les otages
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