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Djibrill Bassolé : « Je prendrai bientôt congé de l’Armée pour mieux servir mon pays et l’Afrique »

Lefaso.net. Le 11 janvier 2015, des mouvements de jeunes, convaincus que Djibrill Bassolé est ‘’l’homme de la situation’’ pour le Burkina de 2016 l’ont appelé à se porter candidat pour l’élection présidentielle de 2015. Va-t-il dire oui ? Quel a été son rôle dans les événements des 30 et 31 octobre ? Quels sont ses rapports avec la famille Compaoré et le CDP ? Qu’en est-il de son appartenance à la franc-maçonnerie ou encore de cette affaire d’or passée au Tribunal populaire de la Révolution ? N’y a-t-il pas trop de militaires dans la politique au Burkina ? Autant de questions et bien d’autres que nous lui avons posées et auxquelles il répond sans esquive.

Djibrill Bassolé : « Je prendrai bientôt congé de l’Armée pour mieux servir mon pays et l’Afrique »

Un mouvement de jeunes de la société civile vous a lancé un appel à descendre dans l’arène politique et à déposer votre candidature pour l’élection présidentielle de 2015. Quelle sera votre réponse à cette invitation ?

Il est encore prématuré de dire quelle sera ma réponse. Pour l’heure, je me réjouis de constater que l’état de mes services à travers les différentes fonctions que j’ai occupées au Burkina Faso et à l’international ont été positivement appréciées. Je suis naturellement très touché par la mobilisation et l’appel de ces jeunes qui pour moi est une manifestation de reconnaissance et de confiance et une profonde aspiration à choisir leurs dirigeants et à prendre leur destin en main.

A quand votre réponse, mon Général ?

A très bientôt. Il me faut au préalable procéder à de larges consultations aussi bien au sein de la société civile, de la classe politique que de l’armée pour obtenir un minimum de consensus car comme le disait mon ami Dioncounda Traoré du Mali, « je souhaiterais être une solution pour mon pays et non un motif de discorde et de difficultés ». Je dois m’assurer que ma candidature fédère les Burkinabè et répond aux réelles aspirations de changement manifestées par le peuple burkinabè et sa jeunesse en particulier.

Pourriez-vous incarner ce changement ? Vous qui avez appartenu au défunt régime de Blaise Compaoré...

Le Président Compaoré a certes commis une erreur d’appréciation politique quant au projet de révision de l’article 37 de notre Constitution. Mais malgré les insuffisances qui ont emmaillé son régime nous nourrissions beaucoup d’ambitions pour le Burkina Faso. Je ne renierai pas le travail abattu avec lui au nom d’un idéal de progrès que nous partagions. En me basant précisément sur mon expérience dans la gestion des Affaires de l’Etat ici au Burkina où partout où j’ai pu aider à surmonter des crises, il m’est possible à présent de faire évoluer la conception même du pouvoir d’un Etat moderne afin que les gouvernants soient toujours en phase et en parfaite harmonie avec les aspirations des administrés dans leurs occupations et préoccupations de tous les jours. Comme me le disait une éminente personnalité religieuse à Rome « soyez plutôt de bons serviteurs que de bons patrons ».

Ce n’est pas seulement en fustigeant de manière tapageuse la gestion de l’ancien régime qu’on est nécessairement apte à incarner le changement.

On dit que la famille Compaoré est opposée à votre candidature...

Je n’en sais rien. Mais en tout état de cause, les évènements des 30 et 31 octobre nous enseignent aussi que les grandes questions relatives à la vie de la nation doivent échapper à ce genre de considérations si nous voulons améliorer qualitativement la gouvernance politique dans notre pays. Il est impératif que le fonctionnement des formations politiques et associatives soient régie par des règles démocratiques et transparentes afin d’accroitre la solidité et la crédibilité des institutions républicaines.

On dit aussi que le fait de ne pas être de l’ethnie Mossi (majoritaire) constitue un handicap...

« Il faut quitter dans ça » comme disent les Ivoiriens. Vous remarquerez que les plus fervents soutiens à ma candidature sont précisément de l’ethnie majoritaire. Je crois qu’il faut se méfier du discours de certains politiciens en manque d’inspiration qui se rabattent sur ce genre de considération pour se conférer un semblant de légitimité. Le peuple mossi depuis l’époque de l’empire a toujours été ouvert, accueillant et très pragmatique ; ce sont ces valeurs qui ont fait la force et la cohésion de la nation burkinabè. De nombreux mossi m’apprécient pour ce que je suis et ont même de l’estime et de l’amitié pour moi. Mêmes les Bissa (parents à plaisanterie) aussi voteront massivement pour moi si je le leur demande (rires).

Les gens annoncent la création de votre parti politique…

Mon statut actuel ne me permet pas de créer pour l’instant un parti politique.

Seriez-vous vraiment prêt à quitter l’uniforme ?

J’en discuterai au préalable avec la hiérarchie militaire. Je dois dire que les évènements des 30 et 31 octobre 2014 m’ont amené à revêtir l’uniforme et à travailler intensément avec mes compagnons d’armes pour trouver une solution de sortie de crise qui préserve la paix et la cohésion au sein de l’armée. Le temps est venu pour moi à présent de laisser la place aux jeunes officiers qui aspirent légitimement au grade le plus élevé. Je prendrai donc bientôt congé de l’Armée pour mieux servir mon pays et l’Afrique, car ma carrière est désormais politique.

Comment avez-vous vécu les évènements des 30 et 31 octobre 2014 ?

Face à l’ampleur du mouvement, et à la détermination des jeunes manifestants, il fallait impérativement, dans le feu de l’action, calmer les esprits et éviter les confrontations violentes qui auraient été lourdes de conséquences pour notre pays. J’ai bien volontiers mis mon expérience de gendarme et de médiateur à profit pour trouver les solutions d’apaisement et de sortie de crise.

Quel a été votre rôle exact ?

Je n’avais pas de responsabilité directe dans la hiérarchie des Forces de défense et de sécurité. J’ai plutôt joué un rôle de conseiller pour aider au rétablissement de l’ordre républicain et de la paix sociale. C’était naturellement un devoir pour moi de m’investir afin que les opérations de rétablissement et de maintien de l’ordre obéissent aux normes légales. Il fallait aussi préserver la cohésion au sein des Forces armées en particulier entre le RSP et les autres composantes de notre Armée Nationale qui, dans une situation de déficit de communication, auraient pu s’affronter.

Quels rapports avez-vous avec vos anciens camarades du CDP ?

Pourquoi anciens ! Les épreuves que nous avons vécues ne peuvent détériorer la qualité de nos relations. Il faut simplement se remettre en cause, moderniser le mode de gestion du Parti et reconquérir l’estime et la confiance de la jeunesse.

Un autre militaire est annoncé en la personne du colonel Jean-Baptiste Natama, n’y aura-t-il pas inflation d’hommes de tenue ?

Il a lui aussi des atouts pour entreprendre une telle démarche. Il y en a peut-être d’autres non encore déclarés.

Une certaine opinion est hostile aux candidatures militaires à la présidentielle, au motif que le Burkina n’a pratiquement connu qu’eux au pouvoir depuis les indépendances, à l’exception de Maurice Yaméogo ; que répondez-vous ?

Il n’y a aucune raison d’être hostile à des candidatures de citoyens burkinabè dès lors qu’elles s’inscrivent dans un cadre constitutionnel et se conforment aux lois et règlements en vigueur. Ce sont les putschs et les Coups d’Etat qui portent les militaires au pouvoir qui sont à proscrire. Le militaire qui désire entreprendre une carrière politique en respectant la légalité républicaine devrait être plutôt encouragé.

Vous êtes en effet le premier Général de la gendarmerie burkinabè mais on dit que votre parcours n’a pas été sans faute, avec des affaires que l’on vous reproche notamment cette affaire d’or qui est passée au Tribunal populaire de la révolution. Qu’en est-il exactement ?

Cette affaire d’or date de 1987 lorsque j’étais Lieutenant, Commandant la Compagnie de Gendarmerie de Ouagadougou. Il s’était agi d’une disparition de saisie d’or effectuée par les Gendarmes de mon Unité dans le cadre de la lutte contre le trafic des métaux précieux. L’affaire a été jugée à deux reprises au Tribunal Populaire de la Révolution. Je suis passé à la barre pour, de bonne foi, défendre mes hommes qui ont malheureusement été condamnés à des peines d’emprisonnement et je reste persuadé encore aujourd’hui qu’ils se sont fait avoir. Il y a eu beaucoup de manipulations et d’intrigues dans ces années marquées par la révolution. Interrogez les gendarmes qui ont été mis en cause et vous comprendrez que j’ai géré cette affaire avec la plus grande intégrité.

On vous reproche aussi d’avoir protégé François Compaoré dans l’affaire David Ouédraogo et Norbert Zongo en expulsant Robert Menard de Reporter sans Frontière et en bloquant les enquêtes.

Beaucoup d’encre et de salive ont coulé au sujet de ces affaires. A propos de l’interdiction de séjour de Robert Menard, l’explication est la suivante : j’ai été convoqué devant la Commission internationale d’enquête comme tous les responsables en charge de la sécurité et à l’issue du travail de la Commission, M. Menard dans son commentaire à la presse m’a fait des éloges et fustigé par contre le comportement de certains militaires de la sécurité présidentielle en les traitant même de voyous. Je craignais terriblement que de mauvaises réactions contre sa personne n’aggravent la situation extrêmement tendue dans laquelle nous-nous trouvions déjà. C’est d’ailleurs, vous-vous souviendrez, le jour même qu’il quittait Ouaga pour la France que l’arrêté a été pris. Les services de sécurité n’ont jamais fait obstacle aux opérations d’investigations et à la publication du rapport d’enquête de la Commission.

Pour ce qui concerne les dossiers d’enquête, je ne peux que m’en remettre à la Justice. Je donnerai en cas de besoin toute explication relative à la partie de la procédure qui avait été confiée à la Gendarmerie nationale.

Entre le militaire galonné et le diplomate chevronné que vous êtes, que retenez-vous de ces deux fonctions ?

Merci pour le compliment. J’ai eu de la chance d’avoir pu combiner une carrière militaire, politique et diplomatique et j’en tire une formidable expérience.

Certains voient votre appartenance à la franc-maçonnerie comme un problème. Comprenez-vous une telle réaction ?

Je peux comprendre. Il faut toujours comprendre la perception et les préjugés que les autres peuvent avoir. Pour ce que je sais, les associations et ordres spirituels de ce type qui ne sont pas des sectes, ont vocation à améliorer la conduite de leurs membres, en consolidant leur foi en Dieu et en cultivant l’humilité, la droiture, et le sens de la solidarité. Dans ces conditions, la société ne peut qu’en être l’heureuse bénéficiaire.

Quelles sont vos relations avec les autorités de la transition et quelle appréciation portez-vous sur la conduite de cette transition ?

J’ai avec les plus hautes autorités de la transition des relations empreintes de respect et de courtoisie. Pour ce qui est de mon appréciation, comme tous les burkinabè, je formule le vœu que cette transition conduise le pays à des élections libres et transparentes dans un climat social apaisé.

Vraisemblablement, nous allons encore vers une exclusion des Burkinabè de l’étranger des prochaines échéances électorales ; quelle est votre vision sur cette question...

Pour le vote des Burkina de l’étranger, la CENI en collaboration avec le département des Affaires Etrangères, avait déjà pris un certain nombre de dispositions en mettant en place les Commissions électorales d’Ambassades dans toutes les Représentations Diplomatiques et consulaires de notre pays. Donc à ce niveau on était avancé. De mon point de vu, le vote des Burkinabè de l’étranger est crucial. Les exclure à ce stade pourrait entrainer des frustrations et un sentiment d’exclusion potentiellement source de tensions politiques. Pour le cas particulier des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire, le cadre du TAC [Traité d’amitié et de coopération (TAC) entre la Côte-d’Ivoire et le Burkina Faso, NDLR] pourrait nous permettre de régler les aspects organisationnels et logistiques relatif au vote des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire. Je militerais donc en faveur de la participation effective des Burkinabè de la diaspora compte tenu de leur profonde aspiration à s’impliquer dans toutes les actions concernant la vie de la nation.

Si vous devez répondre favorablement à l’appel que les jeunes vous ont lancé, quelles seraient les principales thématiques de votre campagne ?

L’employabilité des jeunes constitue un défi majeur.
Voltaire a dit que « le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin ». Les jeunes doivent travailler pour subvenir à leurs besoins et se rendre utiles à la société. A cet égard je n’aimerais pas décevoir les aspirations légitimes et les atteintes de ces jeunes qui sont sortis nombreux les 30 et 31 octobre pour exiger le changement. Le challenge consiste alors à faire mieux que le régime précédent en matière de création d’emplois, de l’accroissement et d’un meilleur partage de la richesse nationale. Ce ne sera pas aussi simple que ça.

Tout commence à mon avis par le regard que nous portons sur cette jeunesse et la considération que nous lui accordons. Elle mérite beaucoup mieux que d’être enrôlée dans les secteurs et les établissements scolaires et universitaires avec pour seule mission d’animer les empoignades politiciennes et d’être abandonnée à son sort une fois l’objectif atteint.

Notre jeunesse a besoin d’emplois plus décents et plus gratifiants. Pour se faire, elle devra être bien formée et en bonne santé.

Les autres thématiques non moins importantes porteront certainement sur les préoccupations de la population burkinabè dans son ensemble.

Pour un pays agricole à vocation de service, il nous faut accentuer les efforts sur l’eau, l’énergie, les TIC.

Je mentionnerai pour terminer que la paix et la cohésion sociale sont d’une importance capitale et exigent une justice forte et indépendante, une armée républicaine et opérationnelle et des Forces de défense et de sécurité garantissant l’ordre public pour tous.

Interview réalisée par Cyriaque PARE
Lefaso.net



22/01/2015
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