Pas besoin de se déplacer à Banfora pour vivre le marasme de la SN SOSUCO. Un petit détour à la zone industrielle de Bobo-Dioulasso suffit. Dans la capitale économique, la société a loué trois grands magasins pour stocker les quantités de sucre qu’elle ne peut même plus entreposer à l’usine, faute de place. Entre deux réunions de crise pour trouver une solution, le directeur général de la SOSUCO, Mouctar Koné nous fait visiter des milliers de tonnes, réparties dans trois magasins dans la zone industrielle de Kodeni. Pas les habituelles rotations de camions de chargement et de déchargement dans les magasins, pas âme qui vive dans le premier entrepôt visité en face d’une défunte société dont l’évocation du nom suffit à donner des frayeurs, SOPROFA. Dans ce 1er magasin bourré à craquer de cartons de sucre et de sucre granulé, il a fallu de peu pour que ce stock ne tombât pas entre les mains des pillards, lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre derniers. En plus des locaux loués à un privé, la SOSUCO a dû assurer elle-même le gardiennage d’environ 2 000 tonnes de sucre en carreaux et plus d’une centaine de tonnes composées de sacs de sucre granulé. « C’est la production de la campagne écoulée achetée et non enlevée par des commerçants qui ne savent pas à qui vendre », a précisé le directeur commercial de la SOSUCO, Cheick Oumar Bamba, le regard inquiet. Le sucre granulé devenu très compact sous l’effet des intempéries, demande à être renvoyé à l’usine pour être reconditionné. A quelques bâtiments plus loin, se niche le second magasin dans lequel sont stockées 2 000 tonnes de sucre en carton de la production de 2014. Comme si la SOSUCO s’était résignée, un troisième magasin se prépare à accueillir les quantités produites à venir. La société va-t-elle rejoindre le cimetière des entreprises en faillite à Bobo-Dioulasso ? Rien n’est moins sûr, à entendre le directeur général, Mouctar Koné.Le DG reconnaît que s’il a pu faire la gymnastique nécessaire pour boucler les provisions financières de décembre 2014, il n’est pas évident que cela puisse être possible en janvier 2015. « Si les ventes ne décollent pas, nous ne sommes même pas sûr de pouvoir payer les salaires des travailleurs. C’est sérieux. Tu produis, tu ne vends pas. Tu dépenses de l’argent. C’est le mur à court terme », a-t-il soupiré. Les premiers responsables s’arrachent donc les cheveux pour éviter le mur, en attendant de poser le problème au gouvernement. C’est dans cette optique que l’Observatoire du sucre a invité vendredi 26 décembre, les « commerçants patriotes » à prendre langue avec la SOSUCO, en vue de signer une convention sur les prix des quantités achetées, afin d’écouler la production de la campagne. C’est cette parade qui, de l’avis de M. Koné, a permis de sauver la situation l’année dernière et à la société de fonctionner jusque-là, même si certains partenaires n’ont pas respecté leur engagement. Mais problème, certains commerçants ont toujours par devers eux du sucre qu’ils n’ont pu écouler, le marché étant inondé par le sucre importé.
Une conspiration contre la SOSUCO ?
Les derniers chiffres font état de 20 mille tonnes de stocks, soit près de la moitié d’anciens stocks, l’autre moitié étant constituée de la production de la présente campagne. C’est d’abord et surtout, l’incompréhension qui domine, au regard de ces chiffres, car toute la production de la SOOSUCO ne couvre même pas le tiers des besoins intérieurs de sucre. Pour le DG, Mouctar Koné, cette situation n’est pourtant pas compliquée à comprendre. « En réalité, le consommateur préfère généralement, le sucre SOSUCO, sauf les fabricants de certains produits qui exigent du sucre blanc. C’est le sucre blond de SOSUCO qui est le plus demandé. Malheureusement, le sucre d’importation ne rentre pas forcément par la voie légale. Ceux qui le commercialisent font donc plus de marge bénéficiaire avec le sucre d’importation que le sucre SOSUCO. Ils mettent donc le sucre d’importation sur le marché, au regard de leur marge », a détaillé Mouctar Koné. Il réfute également l’argument du prix plus accessible, semble t-il, du sucre importé qui, souvent est nettement plus cher que le sucre du cru. Ce serait donc les circuits illégaux d’importation qui permettent aux fraudeurs de se faire une marge bénéficiaire conséquente. Le patron de la SOSUCO en est très amer. « Parfois, on se demande s’il n’y a pas une conspiration contre la SOSUCO. Parce que le trafic de sucre rapporte énormément et même autant que la drogue, sans les effets de la drogue comme l’a dit le coordonnateur de la lutte contre la fraude », accuse Mouctar Koné. Des solutions existent néanmoins. Le gouvernement avait fait expérimenter une mesure« qui a complètement résolu le problème », malgré des relents monopolistiques. Les grossistes les plus constants avaient formé une société (SODESUCRE) qui achetait toute la production de la SOSUCO sur un prix convenu à l’avance, en début de campagne. Et ils importaient juste le complément.« Cela a posé des problèmes avec d’autres qui voulaient manger dans la gamelle et qui arguaient à juste titre, le fait que c’est un monopole », rappelle Mouctar Koné .Mais l’aventure n’a tenu que 3 ans, jusqu’aux émeutes de la faim en 2008. Décision a été prise depuis lors, « de casser tous les monopoles », mais le sucre importé était déjà sur le marché, a constaté le DG de la SOSUCO. Face à la nouvelle situation de mévente prégnante, la SOSUCO préconise la même solution qui avait bien marché. Elle exhorte les« vrais » commerçants à se mettre ensemble pour discuter, à l’image de ce qui avait été fait avec la SODESUCRE. Elle était la seule importatrice et l’avantage est que le sucre de la fraude est directement identifié. Le mécanisme permettait que le complément importé vienne directement à la SOSUCO pour être estampillé SODESUCRE. Si bien que sur le marché, il n’y avait donc que la SOSUCO et la SODESUCRE. Un autre sucre était de la contrebande. Encore faut-il que ce train de mesures, si elles sont acceptées, soient en conformité avec les règles communautaires de la concurrence et les engagements du Burkina. Et que dire de la situation d’après-insurrection, qui a été pour beaucoup, une promesse de rétribution équitable de cartes ? La SN SOSUCO a « curieusement » remarqué que le sucre importé a envahi le marché, après les événements.
En tout état de cause, le DG de la SOSUCO plaide pour « la nécessité économique » de maintenir une boîte qui distribue plus de 30 milliards en charge de personnel par an, sans les taxes et impôts payés à l’Etat et les achats de biens et services sur le marché national. En effet, pas moins de 3 000 à 4 000 permanents et temporaires venus de tout le pays tirent leur subsistance de la société sucrière. A ceux-là, s’ajoutent environ 10 000 journaliers qui travaillent globalement, au moins 2 ou 3 mois dans les champs de canne à sucre de Bérégadougou.
Karim TAGNAN
Aujourd’hui au Faso