Mais, poussant loin la légèreté et l’outrecuidance, je me permettrai d’évoquer ici vos origines, le hasard ou la contingence ayant voulu que nous appartenions, vous et moi, au même groupe ethnique et, comme marqué au fer rouge, j’en porte les traces jusques sur mon visage.
Souffrez donc que, pour me faire pardonner, j’aie recours au vieux proverbe de nos ancêtres, les Moose : « Sê n tar pâng tara sugri », ce qui peut se traduire, je crois, par : « la magnanimité côtoie la toute-puissance ».
Autant dire que j’implore votre indulgence pour cette « si longue lettre » que je vais vous adresser, sans pour autant avoir le talent inégalable d’une Mariama Bâ, cette Diva de la plume, que le mystère de la mort a inscrite, trop prématurément, au firmament des étoiles filantes.
J’aurais aimé aussi disposer d’un quelconque aphorisme ou de quelque proverbe moaaga, qui dise l’essentiel en peu de mots. Mais, la science et le talent ne se décrètent pas, et je ne suis pas de ceux que le sort en a doté.
Monsieur le Président,
Si j’ai choisi de ne pas respecter les convenances, ce n’est nullement par manque de respect pour votre fonction ; elle est noble, et elle est sublime, et je la considère comme telle. Je reste néanmoins persuadé que de l’incarner n’altère en rien votre humanité.
J’ai écouté votre discours de prise de fonction. J’y ai trouvé la confession, presque intime, d’un homme de cœur et de principe, couronné de cette vertu cardinale qu’est la modestie, vertu qui n’habite que très rarement le cœur humain, surtout quand les faits ou le sort vous ont hissé au sommet de la pyramide sociale.
La profondeur de votre parole, telle une secousse tellurique, résonne encore en mon esprit : « Nous entendons ramener la morale à la première place dans l’exercice du pouvoir politique ».
Cette parole fait écho aux propos d’un de mes anciens maîtres de philosophie, à l’Université de Ouagadougou, où j’esquissais mes premiers pas dans l’univers de la réflexion. A l’heure où j’enseigne moi-même cette discipline à des étudiants, quelque part, en Occident, jamais je n’oublierai non plus la profondeur des propos de mon vénérable Maître, François VARIN : « On ne peut pas séparer le mal de la politique, parce que le mal est d’abord politique. Le pouvoir est la plus grande occasion, c’est-à-dire la démonstration du mal. C’est l’existence politique de l’homme qui donne au mal sa dimension historique et sa puissance dévastatrice. La vraie nature du péché, de la faute, n’est pas le plaisir, mais l’orgueil de la puissance, la volonté inconditionnée de dominer ».
J’en appelle alors à votre sagesse, Monsieur le Président. Car, non seulement votre parole vous engage, mais, surtout, elle a rallumé une certaine flamme dans le cœur de vos compatriotes, la flamme de la vérité et de la justice, la flamme du courage et de l’action.
Pour avoir jeté la morale dans le champ des orties, le peuple burkinabè, ou, si l’on veut être plus juste, ses responsables politiques, s’est plongé dans une sorte de léthargie. Et cela, depuis le 4 août 1983, jour historique de la Révolution burkinabè, qui se résume désormais à un seul nom : Thomas SANKARA … Plus loin, je m’expliquerai davantage sur ce point.
Mais, avant tout, qui suis-je ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, celui qui trace ces lignes est un ressortissant de Ziniaré, âgé de 57 ans, mais qui n’a jamais vu Blaise COMPAORḖ de ses yeux, ayant toujours fait en sorte qu’une telle rencontre n’ait jamais lieu.
ZINIARḖ … ! A la simple évocation de ce nom, il existe sans doute des gens qui se mettent encore à trembler, tant le lion, même édenté, inspire toujours crainte et tremblement. Etait-ce parce que j’étais originaire de Ziniaré ? Etait-ce de l’inconscience ? Je n’en sais rien. Je dirai simplement que n’étant pas de ceux qui croient aux fables, ce lion-là ne m’a jamais fait peur, pas plus qu’il ne m’aura impressionné. J’avais compris qu’il fallait seulement donner du temps au temps et, comme dit l’adage, « laisser les choses basses mourir de leur propre poison ».
Maintenant que Blaise COMPAORḖ est face à la vérité et à son destin, je peux, enfin, parler. Mais, j’entends des voix qui s’élèvent et qui protestent : « Il est de Ziniaré … !? Ils reviennent, déjà, masqués !? Qui est celui-là !? »
Je leur répondrai simplement : nous sommes tous nés, un jour, quelque part.
Monsieur le Président,
Quitte à chercher un lingot d’or dans une botte de foin, je prends le risque de dire qu’il existe aussi des hommes intègres à Ziniaré, des citoyens honnêtes, qui ont le sens de l’honneur et des responsabilités. Je ne me vanterai pas d’en être, mais j’en connais. Et je ne supporterai pas que ces gens-là soient injustement punis, comme dans la fable du Loup et l’agneau de Jean de Lafontaine. Bref, je ne voudrais pas que tous les ressortissants de Ziniaré, qui occupent des postes à responsabilités, soient indistinctement soupçonnés, au point de devoir trembler à chaque conseil des ministres. Ne répondons pas à l’injustice par l’injustice. Ceux-là qui ont mangé à la mangeoire de l’écurie Blaise COMPAORḖ sont reconnaissables : ils sont gros et gras, après 27 ans d’engraissage, pour passer inaperçus ; leur silence coupable, quand ce ne serait pas leur complicité, les rend en partie responsables de ce qui arrive aujourd’hui à Blaise COMPAORḖ. Laissons-les à leur conscience, et qu’ils lavent leur linge sale en famille !
Cependant, une précision s’impose : le sort peu enviable des enfants prodigues, s’il attriste, à juste titre, les parents, n’entame en rien leur honneur. Ainsi, Ziniaré, tu n’as pas attendu cette petite porte ou, plutôt, cette petite farce pour entrer dans l’Histoire, et tu n’en sortiras pas non plus par la même occasion.
Ô toi, Ziniaré, que puis-je te dire, pour te consoler, si ce n’est que, quelque longue que soit la nuit, le jour finira toujours par poindre !?
Ô Terre de Oubri, Ô Terre de mes ancêtres, Tu méritais bien mieux ! Ô Terre de Oubri, Ô Terre de mes ancêtres,
Même éloigné de toi, à des milliers de kilomètres, tes sanglots me parviennent, et tes soupirs me laissent sans voix.
Ô Terre de Oubri, Ô Terre de mes ancêtres,
Je souffre en toi. Et ces mots de René CHAR me reviennent subitement à l’esprit : « J’habite une douleur ».
Mais, tombons davantage les masques !
(Rogm daare yând ka ye / Le jour de l’accouchement, il n’y a pas de pudeur qui tienne)
Je vous disais donc, Monsieur le Président, que je suis né dans la région de Ziniaré, en 1958, ou à peu près, mon jugement supplétif d’acte de naissance n’ayant été établi qu’à l’âge de 7 ans, pour me permettre d’aller à l’école.
Je me souviens de ce jour-là, où mon vieux père (il avait le même âge que vous en ce moment) avait chargé mon oncle Rasablega, qui se prénommera Alphonse par la suite (le vent du catéchisme ayant soufflé entre temps sur son passage), de m’amener dans l’imposant édifice où travaillait le Commandant de Cercle, pour établir ledit document. Mon père, lui, était un simple paysan analphabète. Et, fallait-il être transparent que j’ajouterais qu’il était aussi le chef coutumier de son village. Toujours est-il que je n’avais jamais vu édifice aussi grand ; il n’avait d’égal que les regrettées tours jumelles du World Trade Center, qui, Outre-Atlantique, caressaient les cieux pour rivaliser avec les dieux.
Monsieur Pascal Ouédraogo inscrivit alors mon nom sur les registres de l’Etat civil, non sans avoir posé, avec toute sa force d’homme, ses doigts sur les touches d’une machine … à écrire. Le moaaga qu’il était au plus profond de lui l’avait suivi jusques dans les bureaux administratifs. Il fallait donc qu’il infligeât à la machine de l’homme blanc ce que le paysan moaaga imposait comme discipline à l’âne dans les champs. Il s’agit d’une philosophie élémentaire que chacun peut comprendre : « Pâbr sâa n ka wùm boânga a ka kênd ye » (Il n’y a que les coups répétés pour faire avancer un âne).
Dès lors, Monsieur Pascal Ouédraogo écrira : « S. P. ». Rien de plus banal. Ce nom et ce prénom, je les entendrai claironner des milliers de fois, comme dans le rituel des casernes, lorsque l’on passe les troupes en revue. Les âmes sensibles, pour me consoler, diront que je suis plutôt quelqu’un de normal. Qu’à cela ne tienne. Sans modestie aucune, sans sombrer dans de stériles jérémiades, j’admets que je suis né pour être quelqu’un de banal, même si les Moose ne l’entendent pas de cette oreille. Et les vieilles dames qui ont aidé ma mère à accoucher le savaient mieux que quiconque : à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle ; seuls les événements insignifiants s’inscrivent dans la banalité. Par conséquent, ces vieilles dames me donnèrent comme prénom le nom du jour de la semaine où je suis né. C’est dire que je n’aurai pas d’histoire, puisque, dans le contexte socio-culturel qui est le nôtre, tout enfant est censé être un revenant, et la coutume veut qu’il porte comme prénom celui que portait jadis un de ses bisaïeuls. Tel ne fut pas mon cas.
Monsieur le Président,
Si, m’adressant à vous, aujourd’hui, j’ai tenu d’abord à tomber le masque, c’est pour me livrer à vous, tel que je suis : sans fard, sans défense ; c’est parce que je ne porte pas mes origines, fussent-elles Ziniaré, comme une maladie honteuse.
Monsieur le Président,
Je ne vous écris pas d’une quelconque chancellerie ni de quelque bureau feutré de l’UNESCO, pas plus que de l’O.I.F (Organisation Internationale de la Francophonie). J’ai sollicité deux ou trois fois chacune de ces institutions pour y travailler, mais ma candidature n’a jamais été retenue, sans doute que mon profil ne leur convenait pas ; j’ai parlé plus haut de banalité … Non seulement j’ai la nuque trop raide, mais encore je ne connais personne de très haut placé pour appuyer ma candidature.
Toutefois, transparence pour transparence, je dirais qu’une fois au moins quelqu’un m’a placé sur la voie royale qui conduit au palais où évoluent les fonctionnaires internationaux. Il s’agit de Monsieur Giulo FOSSI, l’ancien Chef de Division de la Coopération Extérieure du Centre de Développement de l’OCDE. J’ai travaillé près de 4 ans dans son service. Le 10 décembre 1998, il enverra une lettre à Madame Francine Fournier, Sous Directeur Général du Département des Sciences Sociales et Humaines de l’UNESCO, et voilà ce qu’il disait de moi : « Il s’agit d’un homme dont les qualités éthiques et intellectuelles sont remarquables et représentent à mon avis la quintessence de ce que la culture africaine greffée à la culture occidentale peuvent fournir de mieux à notre monde en quête d’un devenir multiculturel […] Je suis personnellement convaincu qu’il pourrait apporter une contribution significative aux travaux du Département des Sciences Sociales et Humaines de l’Unesco dans la tradition du grand historien burkinabè le Professeur Joseph Ki Zerbo. »
Rappelons seulement que Monsieur Fossi est d’origine italienne. Et je risquerai cette remarque : être Italien ou être diplomate, cela revient au même. Il faut savoir faire dans l’emphase, quitte à travestir parfois la réalité des choses, ce qui ne veut pas dire mentir de manière éhontée. Le fait est que les choses de la vie sont souvent complexes. Dès lors, pour les appréhender, il faut savoir exagérer, il faut multiplier les perspectives, dans l’espoir de pouvoir se situer au juste milieu.
La personne qui m’a reçu à l’UNESCO était, elle aussi, d’origine italienne. Il s’agit de Madame NITTI, diplomate dont le père avait été jadis Président du Conseil italien. C’est dire que la table avait été soigneusement dressée, mais le convive que j’étais allait bientôt jouer le rôle de trouble-fête. En effet, Madame NITTI me cita les noms de trois personnalités burkinabè et me demanda ce que j’en pensais. Entre autres, il y avait le nom de Joseph KI-ZERBO. Je fis alors comprendre que je ne respectais que ce dernier nom. Suite à cela, Madame NITTI me demanda ce que je pensais du régime Blaise COMPAORE. Je répondis simplement que mon pays méritait bien mieux. Ce fut le mot de trop. Cette grande diplomate de carrière cacha à peine sa colère, car, dit-elle : « Monsieur S., le Burkina, ce n’est tout de même pas le Libéria ! ». C’était au moment de la guerre du Libéria ... Si seulement je pouvais souligner que le Burkina y était peut-être pour quelque chose dans cette guerre...
Soit dit en passant : contrairement à ce qu’on pourrait penser, les diplomates ne sont pas des monstres froids, pas plus que le monde un long fleuve tranquille. Il faut donc se garder de tout angélisme et s’interdire tout épanchement abusif de sentiments. En d’autres termes, les mille et une plaies qui suppurent un peu partout dans le monde en arrivent à nous faire situer sur le même plan la peste et le paludisme.
Monsieur le Président,
Maintenant que vous me connaissez un peu, je puis vous dire ceci : j’ignore le sort qui sera réservé à cette « si longue lettre » ; je vous sais bien entouré. Je ne doute pas qu’il y ait en votre Cabinet des gens fort instruits, dont la fonction est de vous ménager et de vous éviter des sollicitations comme la mienne. Au mieux, ils vous résumeront mon modeste écrit ; au pire, ils le jetteront à la poubelle.
Sachez néanmoins que le simple fait de vous avoir écrit constitue pour moi un privilège, et cela me réjouit déjà le cœur. Comme dit, plus haut, je sais d’où je viens. Beaucoup rêvent de pouvoir lire et écrire dans notre pays. Ce pays, si calme et si paisible, que la Révolution du 4 août 1983 est venue transformer, la figure historique de cette Révolution étant, répétons-le : Thomas SANKARA. De lui, je dirais simplement que les icônes n’appartiennent à personne.
J’ai eu le privilège de serrer la main du lieutenant Thomas SANKARA, avant son accession au pouvoir, par une belle journée du mois de juin de l’année 1979. Je faisais partie d’une troupe de théâtre (j’en étais le plus jeune), qui a été jouer une pièce dans un bar de la célèbre ville de Pô. Etait-ce le Triomphe Bar ? Le temps faisant son œuvre, j’ai pu en oublier le nom. Du reste, à cette époque, nous nous sommes produits à divers endroits. Il n’en reste pas moins que ma rencontre avec le jeune et charismatique Thomas SANKARA est restée à jamais gravée dans ma mémoire. Je l’ai revu plusieurs fois, au moment où il occupait ses fonctions de Secrétaire d’Etat à l’Information, sous le régime Saye ZERBO ; passionné de culture et de théâtre, il venait assister parfois à nos répétitions.
Qui dit SANKARA DIT TALENT, MAIS AUSSI PASSION
Son désir de perfection en faisait un demi-dieu ; tel Don Quichotte de la Mancha, il eût tout balayé sur son passage pour atteindre l’inaccessible étoile. Son rêve et sa passion étaient aussi ceux des idéologues qui l’entouraient. Sans m’étendre là-dessus, je pense à l’un de mes anciens professeurs à l’Université de Ouagadougou, qui fait partie de ceux qui dorment à ses côtés au cimetière de Dagnoê, après la tragédie du 15 octobre 1987. Ce brillant professeur, plus d’une fois, nous avait confié qu’à chaque fois qu’il entendait la chorale Naaba Sânem du regretté abbé Robert Ouédraogo, celui-là même qui avait composé notre premier hymne national (dont les paroles et la mélodie suscitent encore en moi beaucoup de jubilation), il était obligé de prendre un cachet d’aspirine, tant cela lui insupportait.
Oui, ces gens-là faisaient partie de l’entourage de Sankara. C’est dire que la radicalité et l’intolérance caractérisaient aussi ce régime politique.
Lorsque l’on aura souligné que les 4 hommes forts de ce régime, les 4 compagnons d’armes ne venaient jamais en conseil des ministres sans leur revolver, on comprendra que leur source d’inspiration n’était pas la morale, mais la terreur.
Ce climat qui régnait au sommet de l’Etat avait fini par gangrener tous les esprits. Ainsi, lorsqu’on exécutait à Kambônsê, de Fada-Ngourma jusqu’à Orodara, en passant par Houndé, on rédigeait des motions de soutien, comme pour demander toujours plus de sang. Aux yeux des CDR (Comité de Défense de la Révolution), chaque voisin devait être regardé de travers, car il sommeillait en lui un traître potentiel, un Réactionnaire, un Ennemi de La Révolution. Bref, le Salut du Peuple vaut bien un sacrifice.
Monsieur le Président,
J’avais tantôt évoqué la morale. J’y reviendrai encore, et j’y reviendrai toujours.
A propos de la Révolution du 4 août 1983, ce proverbe moaaga me vient à l’esprit :
« Râam sâama a kôgbê ta biisg lebeg toogo” (l’acte initial de la préparation de la bière de mil étant raté, le reste ne peut qu’en pâtir).
Tout en reconnaissant que le capitaine Thomas SANKARA est un être d’exception, je n’en ferai pas un saint. Car il a sa part de responsabilité dans la situation politique que nous avons vécue depuis ces trente dernières années. Mais, couvrons cela d’un voile pudique ! « Toute grande existence est coupable », avait coutume de dire Nietzsche. Du reste, j’avais prédit la mort de Thomas SANKARA.
A l’époque, on m’avait jugé trop excessif, voire un peu fou. Soyons plus précis. Deux ou trois mois avant la mort de Sankara, j’avais reçu un ami dans ma chambre d’étudiant, dans la Résidence universitaire Jean Zay, située dans la région parisienne. Cet ami en question était lui aussi burkinabè. Il était déjà fonctionnaire, il avait bénéficié d’une disponibilité pour poursuivre ses études. Comme à l’accoutumée, le débat tourna très vite en débat politique. Et voilà ce que je lui disais exactement : dans les mois à venir, si Blaise ne tue pas Sankara, c’est Sankara qui va tuer Blaise. A cela, il répondit : « Mon cher …, s’adressant à moi, ce que j’apprécie en toi, c’est ton immense culture et la finesse de tes analyses, mais, aujourd’hui, permets-moi de te dire que tu délires. J’ai accompagné ces deux hommes en Corée […], un peu partout. Ce qui les relie, c’est la complicité d’un couple. » Ce à quoi j’ai répondu par un simple « on en reparlera ».
Hélas, les faits devaient me donner raison : ce qui devait arriver arriva. Et j’aurai attendu 5 jours après la mort de Sankara avant d’aller voir cet ami. Il avait beaucoup maigri ; je ne savais pas qu’un homme pouvait fondre autant en 5 jours. Les professeurs de médecine parleront peut-être de métabolisme ou de réaction psycho-somatique. Quitte à les faire sourire, je dirais simplement que les cellules du corps refusaient désormais de s’agglomérer, comme pour répondre au chaos ambiant. Bref, dès que cet ami m’a ouvert sa porte, je lui ai dit : tu sais bien que je n’étais pas tendre avec Sankara, mais, de là à souhaiter sa mort ? Jamais ! Alors, je ne viens pas te voir pour polémiquer ; je viens, en ami, te dire que je partage ta peine.
Mais, je suis au regret de citer, une fois de plus, Nietzsche : « Humain, trop humain ». L’ami dont je parle, quelques mois plus tard, est rentré au pays ; il y a même occupé de très hautes fonctions sous le régime de Blaise Compaoré, puisqu’il a été deux fois ministre, pour ne citer que cela. Il vit en ce moment à Ouagadougou ; il se reconnaîtra.
J’aurais pu vous parler aussi de cet autre ami, qui est parti le même jour que moi au petit séminaire de Pabré, dans les années 70. Est-il nécessaire de souligner au passage que ces anciens séminaristes, par leur complicité et leurs liens indéfectibles, constituent une sorte de secte ? Qu’ils trouvent à travers ces lignes mon bonjour amical, et qu’ils me pardonnent mon impertinence.
Le temps faisant son œuvre, j’ai précédé cet ami à Paris, pour les études universitaires. Et c’est moi qui, un ou deux ans plus tard, ai retiré un dossier d’inscription pour lui, alors qu’il était encore au Burkina. Mais, une fois à Paris, cet ami était devenu un fervent CDR (Comité de Défense de la Révolution), au point de faire de moi sa bête noire. Ainsi, au cours d’une cérémonie de mariage, nous eûmes un entretien très peu cordial. Voilà ce qu’il me disait : « Le régime Sékou Touré a duré 24 ans en Guinée. Tu connais l’âge de Sankara. Si tu n’es pas d’accord avec lui, il ne te reste plus qu’à t’exiler » … J’ai dû quitter les lieux. Il ne me disait plus bonjour quand il me croisait dans la rue. Miséricorde ! Puis, vint la tragédie du 15 octobre 1987.
Je me souviens que j’étais en train de faire des photocopies, à la rue Saint Jacques, près de la Sorbonne. Cet ami passait. Lorsque nos regards se sont croisés, il revint sur ses pas pour me saluer. Puis, sachant que je suis de Ziniaré, il me dit : « Maintenant, vous avez le pouvoir ». Ce à quoi j’ai répondu simplement : tu t’es trompé une fois déjà, sache que tu te tromperas une deuxième fois. Cet autre ami, lui aussi, vit en ce moment au Burkina ; il enseigne à l’Université de Ouagadougou. Si jamais il tombait sur ces lignes, je lui adresse un bonjour très amical, tout en lui laissant le soin de se dire en conscience si j’ai tenu parole.
Revenons à l’essentiel : loin de dresser ici un réquisitoire sans appel de la période révolutionnaire de notre pays, je voudrais simplement souligner que l’acte initial de ce régime s’était rendu coupable par une faute morale, comme pour amener les esprits à accepter l’idée d’une certaine « banalité du mal » , pour emprunter l’expression de Hannah Arendt. En effet, pour la première fois, dans l’Histoire de notre pays, le sang avait coulé pour permettre à quelques uns d’arriver au pouvoir.
Ces premiers pas macabres de la Révolution burkinabè ne pouvaient conduire qu’au pire. Et le pire restait à venir. Comme qui dirait, c’est le premier pas qui coûte.
Le fleuve de sang ayant ainsi creusé son lit, il ne restait plus qu’à l’alimenter pour qu’il ne tarisse pas. Le sacrifice d’Abraham, lui au moins, a eu le mérite de ne se limiter qu’à un seul mouton, le pauvre Isaac ayant été épargné. Chez nous, au Burkina Faso, les victimes devaient se compter par dizaines, voire par centaines. La liste serait trop longue à établir, et je suis déjà saisi de vertige.
Monsieur le Président, j’ignore combien de temps il me reste à vivre sur cette Terre. Sachez néanmoins qu’il suffit d’une seule chose pour que je puisse dormir en paix. Vous êtes de ceux-là qui peuvent tout de même exaucer mon vœu le plus cher. Car, tout en reconnaissant la brièveté du temps qui vous est imparti, j’ai la faiblesse de croire que vous pouvez, pendant votre mandat, poser les jalons d’une véritable justice au Burkina Faso ; cela passe par la rupture avec la culture de l’impunité.
L’Histoire vous sera infiniment reconnaissante si, peu ou prou, vous pouviez contribuer à faire plus de lumière sur ce qui est arrivé à Badembié NḖZIEN, Yorian Gabriel SOMḖ, Fidèle GUIḖBRḖ, Maurice OUḖDRAOGO, Barnabé KABORḖ, Moussa KABORḖ, Amadou SAWADOGO, Elysée SANOGO, Guy SAYOGO, David OUḖDRAOGO, Norbert ZONGO, Aminata DIENDḖRḖ, le juge NḖBIḖ, et j’en passe.
Vous avez fort à faire, Monsieur le Président. Car, sans forcer le trait, je puis comparer votre tâche à celle des bâtisseurs, après une catastrophe naturelle, ou après une guerre. Par où commencer !?
Sans flagornerie aucune, je souhaite beaucoup de succès à votre gouvernement. J’ai quelques connaissances dans votre équipe, et je m’en réjouis. Je pense en particulier à celui-là qui était avec moi en classes de 4ème et de 3ème. Depuis sa nomination, je cherchais à l’en féliciter, mais n’ayant pas ses coordonnées, je me contente de le voir passer de temps à autre à la télévision. J’ose espérer qu’il aura quelque écho de ma lettre.
J’exprime par la même occasion mes vœux de réussite, les plus sincères, à votre Premier ministre, le lieutenant-colonel, Yacouba Isaac ZIDA. Peu importe les fonctions qu’il a exercées par le passé. Le pauvre … ! Je n’aimerais pas être à sa place. Le respect que je lui dois m’est dicté par le peuple burkinabè, qui, après l’insurrection du mois d’octobre dernier, s’est donné une sorte de modus vivendi, pour ne pas sombrer dans le chaos : « Vox populi, vox dei » (la voix du peuple, c’est la voix de Dieu).
En effet, l’insurrection populaire de fin octobre 2014, après avoir enterré ses morts, dont je salue ici le mérite et la mémoire, a voulu voir se réconcilier tous ses enfants, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur fonction sociale.
LE MOMENT VENU, ON PARLERA DE VḖRITḖ ET DE RḖCONCILIATION.
Il y a un temps pour faire la guerre ; il y a un temps pour faire la paix. Pour l’heure, toute forme de discours sur le sang que les filles et les fils du Burkina ont versé pour redonner au peuple ses droits, pour redonner tout son sens au terme sacré de démocratie, serait de l’indécence, voire de l’immoralité.
Qu’il me soit permis aussi de saluer au passage mon vieux frère, Luc Marius IBRIGA, qui a accompagné les pas du peuple burkinabè aux heures les plus glorieuses de son Histoire. Cher « vieux frère », je t’appelle ainsi, pour t’exprimer mon affection, alors que tu ne viens pas de Ziniaré. Hélas ! Nul n’est parfait. Et tel est ton seul crime ; d’être un éminent juriste ne te permettra pas de te disculper, mais je te le pardonne. Fallait-il dire un mot de plus que je préciserais simplement que tu m’as précédé de quelques années au petit séminaire de Pabré. Du reste, je t’appelle « vieux frère » parce que tu fais partie de ma famille, mes frères et sœurs étant le courage et la vérité. Tu incarnes les deux à la fois.
Mon cher Luc, qu’est-ce que le temps passe trop vite ! La dernière fois que je t’ai vu, c’était en août 1998, devant le bureau du Recteur de l’Université de Ouagadougou ... Je ne te demande pas de me faire signe ; je te sais très occupé. Sache néanmoins que je suis très heureux que tu accompagnes cette transition politique de notre pays. Au plus fort de l’insurrection populaire, la rumeur publique t’avait déjà placé sur les plus hautes marches de l’Etat. Tu n’auras écouté que la voix de ta conscience, la voix de la sagesse, faisant de la modestie ta seule devise, et cela, malgré tes titres universitaires. Je reconnais en toi le digne disciple du Père CATOIR. Un jour, je te raconterai quelles ont été les dernières heures de sa vie. Je me contente pour l’instant de t’adresser ce beau vers d’Alfred de Vigny : « Poursuis ta longue et lourde tâche dans la voie où le sort a voulu t’appeler » (cf. La mort du loup).
Malheureusement, pour le commun des mortels, la droiture et la sagesse ne sont que des mots creux. L’Histoire peut donc continuer à bégayer indéfiniment. Si seulement la mise en garde des cardinaux romains pouvait éclairer les esprits :
« SIC TRANSIT GLORIA MUNDI ! »
(Ainsi passe la gloire du monde !)
Un de mes frères … biologiques (je dirais plutôt « géographiques ») de Ziniaré avait coutume de nous rappeler que nous avions tous intérêt à manger dans l’assiette Blaise COMPAORḖ, car si les choses venaient à changer, c’est-à-dire qu’en cas d’alternance politique, nous aurions tous à [ch…] payer cher. La décence m’empêche de répéter ici les termes exacts qu’il utilisait.
Mon cher frère (il se reconnaîtra), voici venue déjà l’heure du bilan : « Sic transit gloria mundi ! ». Et, fallait-il l’exprimer dans la langue de nos ancêtres que je dirais simplement : « Duni loaagda ! » (Qu’est-ce que le monde est éphémère !).
POURTANT, LE SYSTḔME BLAISE COMPAORḖ AVAIT ḖTḖ CONҪU POUR DURER MILLE ANS, n’eût été le fameux article 37 de la Constitution.
Il y a des nombres qui portent chance, et il y a des nombres maudits. Le diable est dans le détail. Mais, consolons les âmes sensibles : en 27 ans, le système Blaise Compaoré a eu le temps de faire de nombreux enfants, qu’il a délicatement nourri à la crème fraîche du lait des chèvres paissant dans les prairies verdoyantes du parc de Ziniaré, et qu’il a ensuite engraissés à coups de champagne et de caviar, lors des banquets de Kosyam. Démesure ou vision politique ? Je laisse le soin à chaque conscience de répondre à cette question.
LE PALAIS DE KOSYAM !?
On n’a pas besoin d’être un spécialiste de la langue moore pour se mettre à l’évidence que ce nom, à défaut d’inspirer les architectes talentueux qui ont construit ce palais, aurait dû au moins éclairer ceux qui ont projeté de l’ériger. En effet, ce terme signifie littéralement « Quémander, solliciter un peu plus d’intelligence, un peu plus de sagesse ».
Hélas ! N’est pas intelligent qui le veut, mais qui le peut. En cela, nous devons admettre que le cartésianisme prêtait un peu trop généreusement à l’humanité, lorsqu’il affichait cette conviction : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » (cf. René Descartes : Discours de la méthode). Cela ne s’appliquera pas à Kosyam ; en ces lieux, même la langue locale ne servait pas de source d’inspiration. La mémoire humaine est ainsi oublieuse. C’est pourquoi beaucoup de rêves se sont très vite transformés en cauchemars.
Je prends alors le risque de dire que le régime politique de Blaise Compaoré, à n’en pas douter, a connu quelques succès diplomatiques, mais cela a été surtout une faillite morale. Blaise Compaoré aura à répondre devant le tribunal de l’Histoire, à moins que sa conscience, à elle seule, ne serve de tribunal.
Qui dit mauvais diagnostic dit mauvaise thérapie. Ainsi, le système Blaise Compaoré avait besoin de repère moral, donc de boussole. En lieu et place, ses partisans (trop zélés ? trop stupides ?), se contentaient de clairons, de trompettes et de vuvuzelas. Les voilà maintenant à errer dans la savane et dans la forêt tropicale. Ils sont d’autant plus pitoyables que le jeûne et la mortification ne faisaient plus partie de leurs habitudes.
On peut tout de même espérer qu’au cours de leur longue pérégrination ils rencontreront quelque rabbin, quelque imam, quelque pasteur ou quelque chanoine, qui saurait, tels les Rois mages en Galilée, leur indiquer dans le ciel le scintillement d’une étoile. Mais, si jamais la sagesse profane de la philosophie devait encore leur servir de repère, ayant lu peu de livres dans ma vie, je puis au moins leur en recommander un seul : L’avenir d’une illusion de Sigmund Freud.
Autant dire que les nouvelles religions n’ont pas besoin de passer par l’épreuve du temps pour s’inscrire dans l’Histoire. Le CDP en était une, et ses adeptes très nombreux. Le veau d’or qu’il s’était érigé avait été conçu pour durer mille ans. Par conséquent, à quoi bon s’encombrer de morale ? Le temps effacera tout !
Que de crimes non élucidés ! Que d’enrichissements illicites ! Que de mégalomanie !
Mais l’on ne me fera pas croire que Blaise Compaoré tuait seul, ni de ses propres mains. On ne me fera pas croire que les miettes qui tombaient de sa table n’ont pas réussi la prouesse de transformer quelques illustres inconnus en véritables barons, donnant ainsi une autre démonstration du théorème d’Euclide : de la misère à la réussite, le plus court chemin est l’absence totale de morale. Enfin, on ne me fera pas croire que Blaise Compaoré se donnait seul en spectacle à la cime du pouvoir. Non ! Nous étions encore sur la terre ferme, et, plus précisément, dans les bas-fonds du pouvoir. Là même où le cerveau fait place au tube digestif. Et, n’en déplaise à Goya, qui nous invite à faire preuve de vigilance, parce que « Le sommeil de la raison engendre des monstres », je dirais plutôt que s’il y a bien un enseignement que le régime Blaise Compaoré a retenu des Ecritures, c’est bien cette sagesse de l’Ecclésiaste : « Vade ergo et comede in laetitia panem tuum et bibe cum gaudio vinum tuum, etinim jam biu placuerunt Deo opera tua » (Va, mange avec plaisir ton pain, et bois d’un cœur joyeux ton vin, car Dieu, déjà, prend plaisir à ce que tu fais).
Dès lors, il suffisait que Blaise Compaoré tousse pour qu’on entende autour de lui un concert de « Ouh ! Ouh ! Ouh … ! ». Il suffisait qu’il dise champagne ou douceurs pour que notre hymne national se transforme en « Bon ! Bon ! Bon … ! ». Il suffisait qu’il dise or ou Poura pour qu’on entende psalmodier : « Ra ! Ra ! Ra … ! ». Il suffisait qu’il dise promotion pour qu’on entende répéter à l’envi : « Moi ! Moi ! Moi … ! ». Et tout cela rythmé par la fanfare et le pas cadencé des bérets rouges de la garde présidentielle. Pourtant, Einstein se voulait un peu plus clair : « Je détermine l’authentique valeur d’un homme d’après une seule règle : à quel degré et dans quel but l’homme s’est libéré de son Moi ? ». C’est à croire que Einstein s’enrhume très vite sous les tropiques et que sa voix devienne inaudible. Il en sera de même pour Pascal, qui situera le degré d’exigence encore plus haut : « Le Moi est haïssable » (cf. Les pensées).
Monsieur le Président,
A ce stade de ma lettre, j’aimerais vous demander une autre faveur.
LE R.S.P. DOIT ÊTRE DISSOUT.
La rumeur publique prête au R.S.P. (Régiment de Sécurité Présidentielle) un effectif de 2000 hommes. Mais, 2000 hommes pour protéger un seul homme, fût-il le plus illustre de la nation, cela, personne ne peut le comprendre ; cela heurte la morale. En effet, cette unité d’élite, sachant donner la mort proprement et avec froideur, a fait le vœu de ne servir qu’une seule vie, celle de Blaise Compaoré, quitte à sacrifier mille vies. Je préfèrerais de loin l’art médical. Les médecins, eux aussi, mieux que quiconque, pourraient donner la mort à tout moment. Pour reprendre l’expression d’André Malraux, ils savent qu’ « une vie ne vaut rien, mais [que] rien ne vaut la vie ». Aussi ont-ils prêté le serment de servir toute vie, fût-ce au péril de leur propre vie. Encore faut-il écarter de leur rang celui-là qui, par une journée sombre d’un mois d’octobre, alors que le corps sans vie de Sankara gisait par terre, écrira froidement sur papier glacé : « Mort de mort naturelle ». Nous n’allons pas réveiller Hippocrate dans son sommeil de juste pour si peu, et, oserais-je le dire : pour si bas !? Toutefois, sachons raison garder : ce médecin, quoiqu’il ait déshonoré sa fonction, n’a pas donné la mort.
Des spécialistes ont accompli cette tâche macabre. Ne passons donc pas par quatre chemins : le R.S.P. doit être dissout : « A vin neuf, outre neuve ! ». Le maintien de ce régiment est une injure à l’Armée burkinabè, quand ce ne serait pas une injure à tout le peuple burkinabè. Certes, personne ne souhaite pour l’instant le grand déballage. Mais, les faits qu’on impute à ce régiment ne sont pas des plus glorieux. Contentons-nous de dire simplement que ces soldats ont agi sur ordre. Le moment venu, la justice parlera, et chacun aura à répondre de ses actes. Pour l’heure, il suffit d’intégrer ces hommes aux autres régiments de l’armée nationale.
Enfin, le maintien de ce régiment serait une imposture.
L’équation est simple à poser : cette scission au sein de l’Armée, c’est Blaise Compaoré qui l’a créée. La logique, quand ce ne serait pas le simple bon sens, veut alors que, pour rétablir l’unité de l’Armée, il faille dissoudre le R.S.P.
Cependant, comme dit l’adage, LE POISSON COMMENCE TOUJOURS À POURRIR PAR LA TÊTE.
Ainsi, peut-on sanctionner de simples soldats, si leur hiérarchie agit en toute impunité ? N’est-ce pas le cas du général Gilbert DIENDḖRḖ et du général Djibril Yipéné BASSOLḖ ?
On ne peut qu’être surpris de voir le général DIENDḖRḖ, l’ancien Chef d’Etat-major Spécial du Président Blaise Compaoré, continuer de se montrer de façon ostentatoire à toutes les cérémonies officielles.
Il en va de même du général BASSOLḖ, l’ancien Ministre des Affaires Etrangères du Président Blaise Compaoré. Et la surprise est d’autant plus grande qu’il envisage maintenant de se présenter aux futures élections présidentielles.
Soyons honnêtes ! Ces deux hommes ont été les compagnons les plus fidèles de Blaise Compaoré. Si l’on veut être indulgent, on dirait qu’ils ont poussé le sens du service jusqu’à la servilité, sinon la logique veut qu’ils aient été complices de tout ce que Blaise Compaoré a fait.
On parle çà et là de trahison ? Peu importe. La lagune Ebrié a des vertus thérapeutiques que le sanctuaire marial de Lourdes n’a pas : un petit séjour en ces lieux vous cicatrise non seulement les blessures de votre âme, mais vous assure surtout l’oubli, voire l’amnésie.
Mais, fallait-il revenir sur le cas de nos deux généraux que je dirais ceci : à tort ou à raison, je fais partie de ceux qui pensent que l’Armée est une vénérable institution. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir défendre sa patrie. Mais, hélas, on dit que le poisson commence toujours à pourrir par la tête !
Général BASSOLḖ,
Général DIENDḖRḖ,
Vous faites partie de la plus haute hiérarchie militaire de notre pays. Par votre exemple, donnez envie aux jeunes garçons et aux jeunes filles de vouloir servir sous le drapeau burkinabè. Donnez envie à ces jeunes gens d’être prêts à verser leur sang pour leur patrie.
Peu importe que cette formule vienne de Lord Acton ou d’Alain : « Le pouvoir rend fou. Et le pouvoir absolu rend absolument fou ». Le respect que j’ai pour le genre humain m’empêche de penser que ces deux généraux puissent être atteints d’une telle folie. Du pouvoir, ils en ont joui, jusqu’à satiété, jusqu’à l’écoeurement. Il faut donc poser la question à nouveaux frais : pourquoi ces deux généraux s’acharnent-ils à rester dans le cercle du pouvoir, même après Blaise Compaoré, surtout après Blaise Compaoré ? Est-ce à dire qu’ils ont quelque chose à cacher, voire quelque chose à se reprocher ?
Alors, libérez-les, Monsieur le Président ! Peut-être qu’une bonne retraite leur permettra de faire la paix avec leur conscience. Et, à tous ceux qui seraient tentés de les défendre et d’en faire des victimes expiatoires, je dirais simplement que pas plus que je ne saurais me prendre pour Zola, ces deux généraux ne pourraient poser en victimes. Chacun admettra en conscience que le cas du capitaine Dreyfus, en d’autres lieux et en d’autres temps, ce fut une tout autre histoire.
Pour être honnête, ce ne sont pas les galons dorés de ces deux officiers supérieurs qui me gênent ; personne n’ignore la valeur de l’or de Poura, si tant est que ces signes distinctifs aient été fabriqués chez nous. Le plus gênant, c’est le passé trop lourd de nos deux généraux. Je n’ai pas souvenir qu’ils aient eu leurs galons sur quelque champ de bataille ; leurs faits d’armes se résument en grandes intrigues politiques au palais de Kosyam. Mais, illustres généraux, puisque l’habit fait parfois le moine, montrez-nous au moins que cette haute distinction donne de la noblesse à votre fonction. Donnez-nous envie de croire que l’expression « Forces Armées » n’est pas synonyme de force aveugle.
Donnez-nous envie de croire que Einstein, l’un des pères de la bombe atomique, converti au pacifisme dans la deuxième moitié de sa vie, car saisi d’effroi, après la tragédie de Hiroshima et de Nagasaki, a fait preuve d’exagération, lorsqu’il parlait des militaires en ces termes : « La pire des institutions grégaires se nomme l’armée. Je la hais. Si un homme peut éprouver quelque plaisir à défiler en rang au son d’une musique, je méprise cet homme… Il ne mérite pas un cerveau humain puisqu’une moelle épinière le satisfait » (cf. Albert Einstein : Comment je vois le monde).
Monsieur le Président,
Suis-je là en train de jeter l’opprobre sur une institution telle que l’Armée ? Suis-je en train de trahir ma peur des armes à feu, dont j’ignore d’ailleurs le maniement ? Loin de moi cette tentation. Tout en partageant les idéaux des apôtres de la non-violence, je ne pousserai pas la naïveté au point de croire qu’un Etat digne de ce nom puisse garantir sa sécurité sans les armes. Si l’accent belliqueux du « Si vis pacem para bellum » (Si tu veux la paix, prépare la guerre) des Romains ne me sert nullement de repère, je puis au moins partager la conviction d’un Blaise Pascal : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. La justice sans la force est contredite […]. La force sans la justice est accusée (cf. les Pensées).
Nous pouvons donc souligner que par le passé, comme de nos jours, l’Armée burkinabè fait corps avec les autres institutions qui sont les véritables garants de notre démocratie. Elle a comporté en son sein des figures illustres et respectables, comme celle du général Sangoulé LAMIZANA et celle du colonel Saye ZERBO, pour ne citer qu’eux.
Qui ne se souvient pas du courage et de l’humanisme de ces deux grands hommes ? Tout au plus, on peut regretter qu’ils aient été des Samos (c’est le moaaga qui parle…et chacun appréciera le bien-fondé de ses propos).
Prenons l’exemple du colonel Saye ZERBO. Alors que les chars encerclaient sa résidence, au moment où il allait perdre le pouvoir, il demanda qu’on lui accordât quelques instants. Il en ressortira, plus tard, avec une lettre au contenu fort émouvant. En effet, il disait qu’il assumait, seul, tout ce qui s’est passé sous son régime. Et il suppliait les nouveaux hommes forts du pays de ne rien faire de fâcheux aux femmes ni aux hommes de bonne volonté qu’il a convaincus, non sans peine, pour qu’ils acceptent de faire partie de son gouvernement… C’est dire qu’il n’a fui ni ses responsabilités, ni son pays. Suivez mon regard ! Autres temps, autres mœurs. Un officier supérieur peut en cacher un autre. Que n’aurait-on pas souhaité qu’un tel sentiment inspirât le général BASSOLḖ et le général DIENDḖRḖ, et qu’ils fussent situés à cette hauteur-là !? Malheureusement, je me sens obligé d’évoquer ici le constat très amer de Victor Hugo : on peut être du même régiment sans servir la même cause (cf. Les Misérables).
En effet, il y a ceux qui s’échinent à servir le peuple, et il y a ceux qui ne rêvent que de pouvoir et d’argent. Il ne faut pas se voiler la face. Ainsi va le monde. La sensibilité à fleur de peau de Jean-Jacques Rousseau nous livrait l’exacte mesure de ce fait établi : « Je vois des peuples infortunés, gémissant sous un joug de fer, le genre humain écrasé par une poignée d’oppresseurs, une foule affamée, accablée de peine et de faim, dont le riche boit en paix le sang et les larmes » (cf. Ecrits sur l’Abbé de Saint-Pierre).
Dissipons cependant toute sorte d’équivoque. S’agissant de notre Armée, faut-il désespérer du présent ? Loin s’en faut. Rendons à César ce qui est à César. Ainsi, qui aurait trouvé à redire si un officier comme le général Kouamé LOUGUḖ, militaire intègre à la retraite, essayait de briguer la magistrature suprême ? N’est-ce pas d’ailleurs son nom qui été acclamé, et à juste titre, lors de l’insurrection populaire d’octobre 2014 ? S’il venait à se présenter aux futures élections présidentielles de notre pays, ce serait une valeur ajoutée à notre démocratie. Notre peuple veut des femmes et des hommes intègres et brillants aux postes de commande.
Monsieur le Président,
Parvenu à ce stade de ma réflexion, je risque cette hypothèse : rayer ces deux noms des rangs de l’Armée, ce serait une première forme de justice rendue à toutes ces dizaines de mères éplorées du régime Blaise Compaoré.
Ayez ce courage, Monsieur le Président, sinon vous seriez sourd aux attentes de ces mères, qui, telle la mater dolorosa de Norbert Zongo, en sont réduites à ce genre de cri pathétique : « Wênd n naa bù / C’est Dieu qui va juger (cf. le film Bory Bana).
MA LETTRE EST LOIN D’ÊTRE UN TESTAMENT
Monsieur le Président,
De l’endroit d’où je vous écris, j’entends déjà des gens qui s’inquiètent à mon sujet : « Pourquoi joue-t-il avec le feu ? Est-il devenu fou ? Lui a-t-on jeté un sort (Ne soyons pas dupes : nous sommes en Afrique… !) ? » Et que sais-je encore !?
Je tiens tout de même à rassurer ces gens qui ne me veulent que du bien : en écrivant ces mots, je n’ai pas du tout l’impression d’écrire mon testament. J’ai rarement été aussi lucide : chaque mot que j’ai écrit ici a été pesé. C’est dire que j’assume tout ce qui pourrait m’arriver. Mais, il ne m’arrivera rien ! Là encore, moaaga, je reste : « Yel sâ n ya sida zug gômesda a tore (Face à la vérité, on ne peut qu’opiner du chef). Les anciens petits séminaristes, dont la deuxième patrie est Rome, auraient dit plutôt : « Verum index sui » (la vérité est à elle-même sa propre attestation). Bref, je voudrais, à ce stade de ma lettre, faire cette confidence : de tous les sentiments humains, la peur est ce qui m’habite le moins. Je me laisse alors à rêver que j’aurai encore mille et une pages à écrire, mille et une choses à dire, non pas que mon imagination débridée m’en fasse sentir le besoin ; il n’y a rien que je puisse écrire qui ne m’ait été dicté par la grande école de la vie, l’expérience des hommes.
J’aimerais vivre longtemps, très longtemps, pour avoir le plaisir d’être grand-père. Mais, si ces mots que je trace ici devaient me valoir une quelconque animosité, si je pouvais irriter qui que ce soit, au point de susciter en lui ce sentiment humain qu’on appelle la haine, et si cette haine pouvait me faire payer le prix fort, je puis néanmoins, en toute modestie, vous livrer ma vision de la mort : si j’étais devant mes étudiants et que, une fois de plus, comme pour justifier ma fonction sociale, je devais céder à la tentation des grandes constructions théoriques, je leur aurais probablement cité cette formule de K. Burdach : « Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir » (cf. Le laboureur de Bohème, repris par Heidegger, dans Etre et temps). Toutefois, si cette coquetterie de la pensée amuse la jeunesse, elle offense l’homme mûr que je suis. Au soir de la vie, la vérité est beaucoup plus précieuse que tout l’or du monde. Qu’il me soit donc permis de faire cette ultime confidence : le 16 février 1975, ma petite sœur Tipoko nous quittait pour toujours ; elle n’avait que 9 ans, et cela s’est passé à l’hôpital provincial de Ziniaré. Sa mort a dissipé en moi l’image lugubre de la mort. C’est dire qu’à défaut de me réconcilier avec elle, j’accepte désormais de la regarder en face.
Monsieur le Président,
Si le voile sur mes origines a été levé, il en reste un autre, tout aussi épais, qui me couvre le visage et qui me rend toujours suspect :
POURQUOI ME RETRANCHER DERRIḔRE LE CONFORT DE LA PLUME, QUI PLUS EST, LOIN DES RḖALITḖS DU TERRAIN ?
Pourquoi vouloir donner des leçons de conduite à des gens très honorables, qui se battent quotidiennement sur le terrain ? Je n’ai pas besoin de recourir à de grandes constructions logiques pour répondre à ceux qui me feraient ce genre de reproche. Je voudrais simplement leur dire ceci : à 12 ans, lorsque je quittais mes parents et mes frères et sœurs pour aller étudier au petit séminaire de Pabré, je ne versais pas une seule larme, non pas parce que je n’aimais pas les miens, mais parce que l’éducation que j’avais reçue de mes parents me l’interdisait. Et pourtant, en 1998, alors que j’appartenais désormais au monde des adultes, j’ai versé de grosses larmes de chagrin, lorsque l’avion d’Air France décollait de l’aéroport de Ouagadougou pour Paris. Je n’en étais pas à mon premier voyage en avion ; cela s’était produit en 1982.
Depuis, j’avais effectué des dizaines d’allers et retours entre ces deux capitales. Mais, cette fois-ci, je savais, au fond de moi que je m’installerais désormais en Europe, loin de ma Terre natale. Ce qui me lie à cette Terre ne peut être traduit par aucun discours. Tout au plus, je pourrais m’inspirer de saint Augustin, lorsqu’il avait lancé ce cri pathétique : « Notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi » (cf. Confessions, I, 1).
Surtout, qu’on ne me parle pas de la « fuite des cerveaux ». Je ne suis pas de ceux qui mangent le fromage ni qui boivent du Saint-Emilion en bénissant le Ciel de les avoir conviés aux noces de Cana. Programmé génétiquement pour manger le sagbo et le gâore, le moaaga que je suis vit une telle situation comme une véritable épreuve. Je ne comprends que trop ce que mes maîtres nous avaient appris de la civilisation grecque et de la civilisation romaine : l’exil était vécu chez eux comme la pire des malédictions. Pourtant, je devais, moi aussi, vivre cette douloureuse épreuve.
Comment ne pas pleurer !? L’audience que j’ai eue avec le Professeur Filiga Michel SAWADOGO, au mois d’août 1998, ne me laissait plus aucun espoir : mon dossier de candidature pour enseigner à l’Université de Ouagadougou était placé en 4ème position, c’est-à-dire que j’étais le dernier des candidats. Toutefois, je ne saurais nullement en vouloir au Professeur SAWADOGO, lorsqu’il occupait ses fonctions de Recteur. Cet universitaire hors pair de notre pays n’y était pour rien dans mon infortune. Il n’a fait qu’hériter d’un dossier qu’on avait banalisé, déclassé. Enfin, comment ne pas pleurer, moi qui avais été le seul étranger de toute la France à être reçu au concours du CAPES de philosophie en 1992, moi qui avais soutenu ma Thèse de Doctorat de Philosophie à l’Université Paris-IV Sorbonne, le 2 juillet 1993, et qui ai obtenu la mention « Très Honorable » !?
Comment ne pas pleurer !? Le rêve de toute une vie venait de s’assombrir. Ancien boursier de l’Etat burkinabè, pays pauvre parmi les plus pauvres, j’avais toujours rêvé de payer ma dette énorme envers les miens. Mais, il est des moments où le coup du destin se joue de la détermination des hommes. Aurais-je pu disposer de la plume d’un Corneille que j’aurais couché les mots que voici : « Œuvre de tant de jours en un jour effacée ! » (cf. Le Cid, Acte I, scène 4).
Bref, je n’en étais pas à ma première surprise : en 1993, mon dossier de candidature avait mystérieusement disparu, avec 6 diplômes universitaires et 2 volumes de ma Thèse de Doctorat (846 pages !). Oui, il y a de gros bras à l’Université de Ouagadougou, que dis-je ? de gros rats qui ne chôment pas. La colère de Monsieur Ambroise ZAGRḖ, vice-recteur à l’époque, n’y aura rien changé. Il avait pourtant donné l’ordre de retrouver le dossier en 48 heures. Et, fallait-il dire un mot sur lui que je dirais que j’ai rarement vu homme aussi pieux, aussi intègre ; sa droiture force le respect ; et je parle en connaissance de cause : je l’ai eu comme professeur, lorsque j’esquissais mes premiers pas en philosophie. Ayant franchi, lui, les portes du grand séminaire, donc arrivé à un pas du sacerdoce, il avait fini par se laisser convaincre que les paroles de saint Matthieu lui étaient adressées à lui personnellement : « Vous êtes le sel de la terre » (Matthieu, 5, 13). Du reste, il m’avait accompagné au Ministère de l’Enseignement Secondaire pour rencontrer Monsieur Loya KAKO… De ce ministère, je devais recevoir plus tard une lettre du 23 septembre 1993, signée de Monsieur Mamadou SISSOKO, le Secrétaire Général dudit ministère. Là aussi, ma candidature avait été rejetée, avec moult explications techniques.
Du reste, un ami qui enseigne à l’Université de Ouagadougou a eu le mérite de me prévenir : l’aspect scientifique ne compte que pour 25% dans les critères de recrutement des professeurs de cette Université. Pour ce qui est des autres critères, vous devez faire preuve d’imagination : le fait d’épouser la fille du Président de l’Assemblée Nationale équivaut une véritable onction ; si vous avez reçu sous votre toit pour des vacances les enfants (mal élevés !) de tel ou tel ministre, vous pouvez être sûr qu’on vous comptera désormais parmi les honnêtes gens ; et, si, comble de bonheur, vous êtes le cousin de celui qui a été le témoin de mariage du N°3 de la Garde Présidentielle, vous n’aurez plus besoin de sacrifier le moindre coq rouge, ni besoin de vous soumettre aux interminables veillées de prière de tel ou tel prédicateur pour augmenter vos chances de succès : vous pouvez, en toute quiétude, déchirer tous vos diplômes, vous n’aurez plus à vous soumettre à quelque test de recrutement que ce soit, les portes de Kosyam vont bientôt s’ouvrir, vous n’aurez plus qu’à avancer d’un pas assuré, et vous voilà assis à la droite du Père… de la Nation. Demandez-lui tout ce que vous voudrez, et vous l’aurez.
Ces choses-là, on n’a pas besoin d’être intelligent pour le comprendre ; cela se passe quotidiennement sous nos yeux. Ainsi, depuis 20 ans, à chaque fois que mes amis étaient nommés à des postes à responsabilité, un de mes jeunes frères, n’a eu de cesse de me demander à quoi servaient tous mes principes. Il ignore tout de l’initiative que j’ai prise aujourd’hui. Il me lira dans ces colonnes, et il aura enfin la réponse à ses questions. Il sera triste ; peut-être versera-t-il quelques larmes de chagrin. Hélas ! On ne choisit pas ses frères… Je lui demande humblement pardon.
Cela dit, rappelons-le : il est des vérités qui dérangent ; tel semble être le cas de la fuite des cerveaux en Afrique. En effet, dans certaines contrées du monde, il y a des mères qui préfèrent accoucher sous X. Le Continent Noir, à certains égards, ferait plutôt partie de ces rares mères qui savent se séparer de leurs enfants, pour peu qu’elles les jugent atteints d’un mal incurable. L’intelligence, ou du moins le fait d’être instruit fait partie, à tort ou à raison, de ces maux. Alors, qu’on ne me parle plus de la fuite des cerveaux !
Monsieur le président,
Il ne me reste plus qu’à répondre à une dernière objection. On me reprochera certainement de ne m’être pas élevé au niveau de l’universalité, alors que j’ai fait tout de même quelques études ; on me reprochera ma tendance pusillanime à recourir, trop facilement, trop abusivement, trop honteusement à la langue moore. Mais, peut-on reprocher à l’antilope de courir vers la prairie verdoyante, et à l’oiseau dans le ciel de rêver de la douceur du nid protecteur ? Je ne cherche pas à me refugier en quelque contrée que ce soit, mais seulement à m’aventurer en un lieu sûr, où ma parole, revêtant un accent de sincérité, soit crédible.
Monsieur le Président,
Cette lettre, j’aurais aimé pouvoir l’adresser à mon frère, Blaise COMPAORḖ, et cela depuis près de 30 ans. Seulement, j’ai eu le pressentiment qu’elle m’aurait été renvoyée, avec la mention : « Retour à l’Envoyeur ». C’est un phénomène bien connu : nous autres, natifs de Ziniaré et descendants mâles de la lignée de OUBRI, nous souffrons d’une certaine forme de surdité, entrée dans sa phase aiguë, ces dernières années, où l’harmattan a soufflé trop fort. Ce mal défie le talent des spécialistes en O.R.L. C’est génétique. On n’y peut rien. Dès lors, nous sommes plus à plaindre qu’à blâmer.
Souffrez donc, Monsieur le Président, que je me sois résigné à vous écrire. Vous êtes mon seul recours. Au début de ma lettre, j’en avais fait appel à votre humanité. J’y reviens encore. On n’a pas besoin de preuve pour vous donner acte de votre modestie et de votre noblesse d’âme. A peine assis sur le trône que vous exprimez déjà votre impatience à retourner à votre ferme, comme si vous préfériez le silence mystérieux des bêtes au vacarme des courtisans du palais, comme pour partager la condition de vie de la majorité de vos compatriotes.
L’Histoire retiendra qu’au Panthéon des Héros de la Terre sacrée des Hommes Intègres devra figurer, désormais, un nom, parmi tant d’autres. Souffrez que ce soit le vôtre, Monsieur le Président. Et sachez surtout, Monsieur le Président, que celui qui trace ces lignes n’est pas un griot ni un courtisan ; que pourriez-vous me donner en quelques mois que Blaise COMPAORḖ ne m’eût donné en 30 ans !? Je suis un Poèèga, et vous savez bien que dans notre tradition moaaga, ces gens-là devaient servir avant tout la Vérité, puisqu’ils rendaient la Justice.
Monsieur le Président,
Je sais que vous allez m’écouter, parce que je vous sais humain, très humain, et que, comme Térence, rien de ce qui émane de l’humain ne vous est étranger. Je sais que vous allez m’écouter, parce que, pour être un homme de principe, vous n’en êtes pas moins un homme de cœur, et, à ce titre, vous saurez que celui qui a tracé ces lignes est quelqu’un dont l’extrême sensibilité n’a d’égal que sa sincérité.
Mon nom est inconnu, mais, ma soif est légitime. Tel un prisonnier qui ronge ses fers dans l’ombre de sa caverne depuis plus de 30 ans, j’ai voulu, moi aussi, respirer le vent de liberté qui souffle, enfin, sur mon pays. Mon Cri de colère est aussi un cri d’Espoir. Je sais que vous allez m’écouter, puisque je vous écris avec mon sang et mes larmes.
Avec ma considération respectueuse,
Ecrou (ecroupromo71@yahoo.fr)