Attaque du Westgate: le Kenya enterre ses morts et attend des réponses
Nairobi (AFP) - Le Kenya enterrait jeudi les victimes du carnage du centre commercial Westgate à Nairobi, alors qu'émergent de nouveaux témoignages glaçants sur l'attaque du commando islamiste.
Les drapeaux étaient en berne dans le pays, au deuxième jour de deuil national décrété par le président Uhuru Kenyatta, en hommage aux 67 morts dont les corps ont été jusqu'à présent récupérés dans le Westgate ravagé par les combats et les flammes.
L'attaque du centre commercial à l'arme automatique et à la grenade par un commando de dix à quinze personnes avait été revendiquée par les insurgés islamistes shebab somaliens, liés à al-Qaïda, en représailles à l'intervention de troupes kényanes dans le sud de la Somalie.
Le drame vécu par une trentaine d'enfants qui participaient sur le toit du centre commercial à un concours de cuisine au moment de l'assaut a bouleversé encore un peu plus le pays.
Plus de 2.000 personnes ont ainsi assisté aux funérailles d'une populaire animatrice de radio et de télévision d'origine indienne, Ruhila Adatia, 31 ans, qui était enceinte lorsque les balles l'ont fauchée pendant qu'elle participait à ce concours.
"J'avais 30 à 35 enfants avec moi. (...) Après la première explosion, les enfants hurlaient, les tirs ont commencé", a raconté Kamal Kaur, une collègue de Mme Adatia, au quotidien national The Standard.
"En l'honneur de nos proches disparus"
Des proches de Mitul Shah, qui présidait une équipe de foot kényane et qui a péri dans l'attaque de Nairobi, assistent à sa crémation le 26 septembre 2013 à Nairobi © AFP Simon Maina |
Mme Kaur a raconté s'être plaquée contre un mur, tentant d'arrêter le sang coulant de la nuque d'un garçonnet blessé. On ignore avec précision combien des enfants ont été tués. Ruhila Adatia, elle, n'en a pas réchappé.
Elle a été inhumée en même temps qu'une autre victime, Shairoz Dossa, 44 ans, mère de trois enfants, comme elle de confession ismaélienne.
La une du Standard était barrée d'une rose rouge avec le titre "En l'honneur de nos proches disparus".
Dans plusieurs quartiers de la capitale, des familles endeuillées enterraient leurs proches. Des cellules de soutien psychologique ont été mises en place, notamment à la morgue principale de Nairobi.
Dans le centre commercial toujours interdit à la presse, les secouristes et les enquêteurs continuaient jeudi de fouiller le bâtiment dévasté d'où s'élevaient toujours de fines volutes de fumée.
Un tiers du toit servant de parking avait cédé mardi après un incendie, la chute de tonnes de béton faisant s'effondrer trois étages sous les carcasses de véhicules carbonisées.
Après presque 80 heures de carnage, le président kényan Uhuru Kenyatta avait annoncé mardi soir la fin du siège du Westgate et un bilan dramatique: au moins 61 civils tués, ainsi que six membres des forces de sécurité, et quelque 240 blessés.
Chronologie de l'attaque du centre commercial à Nairobi par des islamistes somaliens © AFP |
Cinq assaillants ont été tués, et onze suspects sont en détention.
La police a précisé que le bilan était provisoire. La Croix-Rouge a compté 61 disparus selon un nouveau bilan (contre 71 auparavant), dont certains, ainsi que des assaillants, pourraient se trouver ensevelis sous les gravats.
Se voulant rassurant, le ministre de l'Intérieur Joseph Ole Lenku a affirmé qu'il ne reste que peu de corps dans les ruines noircies par les flammes, parsemées de débris indistincts.
"Problème sur le nombre d'otages"
Ces déclarations ont été accueillies avec scepticisme par la presse et les réseaux sociaux kényans.
Le quotidien Daily Nation estimait jeudi qu'"il y a un gros problème sur le nombre d'otages qui pourraient avoir été tués dans les échanges de tirs" entre assaillants et forces de l'ordre "et dans l'effondrement des étages". Et sur Twitter, les questions fusaient, comme: "Si des otages ont été secourus, où sont-ils?"
Le leader des shebab, Ahmed Abdi Godane, a déclaré mercredi soir que le carnage était "un message" au Kenya, dont les troupes combattent depuis fin 2011 les insurgés en Somalie dans le cadre d'une force de l'Union africaine, et "aux Occidentaux qui ont soutenu l'invasion kényane" et la financent.
"Retirez vos troupes (...) ou attendez-vous à d'autres bains de sang", a-t-il menacé.
Un camion funéraire devant une morgue de Nairobi, le 25 septembre 2013 © AFP Simon Maina |
Les shebab ont en tout cas réussi à créer la peur dans toute la région. L'Ouganda, qui compte le plus gros contingent de la force africaine en Somalie et qui a déjà été frappé par un attentat sanglant des shebab en 2010, s'est déclaré jeudi en "état d'alerte". Au Burundi, la population craint d'être leur prochaine cible et nombreux sont ceux qui demandent le retrait du contingent envoyé en Somalie.
Des enquêteurs de plusieurs pays - Royaume-Uni, Etats-Unis, Israël, Allemagne, Canada - et d'Interpol participent à l'enquête sur le site du Westgate, où les démineurs ont procédé à au moins une explosion contrôlée, selon un photographe de l'AFP.
Selon le ministre de l'Intérieur, l'enquête "durera au moins une semaine". Outre le nombre de victimes, l'identité des assaillants reste controversée, certaines sources évoquant des Américains ou des Britanniques parmi eux.
Jeudi en fin d'après, à la demande du Kenya, Interpol a émis un mandat d'arrêt international contre la Britannique Samantha Lewthwaite, veuve d'un des kamikazes des attentats de Londres de 2005, pour des charges remontant à fin 2011 -- "possession d'explosifs" et "complot criminel". Son nom plane depuis le début sur l'attaque de Nairobi, à laquelle certains médias l'accusent d'avoir participé.
A Nairobi où vivent de nombreux étrangers, le Westgate était régulièrement cité par les sociétés de sécurité comme une cible possible de groupes liés à Al-Qaïda, tels les shebab.
La sécurité a été renforcée dans les principales villes, les aéroports et aux frontières. Mais deux policiers et un civil ont encore péri dans deux incidents séparés dans le Nord-Est la nuit dernière, sur la frontière somalienne chroniquement instable. La mort des deux policiers a été revendiquée par les shebab sur leur compte Twitter.
Même si la classe politique n'a eu de cesse d'appeler à l'unité, l'attaque du Westgate pourrait relancer les tensions ethnico-religieuses entre chrétiens largement majoritaires et musulmans, dont une grande partie sont d'origine somalienne.
Les habitants d'Eastleigh, le "Little Mogadiscio" de Nairobi, ont ainsi confié leur crainte d'"être punis" pour l'attaque, notamment par la police kényane "toujours brutale" envers eux.
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