Burkina Faso 2013: L’économique et le social tout autant fondamentauxque le politique
Aux Burkinabè les grands espaces. L’horizon est dégagé jusqu’en… 2015.Les « élections couplées » du 2 décembre 2012 ne sont déjà plus qu’un souvenir. Et il faut passer à autre chose. Au Burkina Faso, on a tendance, souvent, à avoir de la complaisance pour le « politique » au détriment de « l’économique » (pour lequel le pays n’est pas le mieux loti) et le « social » (qui réveille, parfois, des souvenirs délicats). Dans son discours du 31 décembre 2012, le président du Faso, Blaise Compaoré, n’a pas manqué de souligner que les dernières élections s’étaient déroulées « dans la transparence, le respect du jeu démocratique, avec la forte participation des populations », témoignant
« de l’ancrage de l’Etat de droit, des valeurs républicaines et de la maturité politique du peuple burkinabè ». Globalement, tout cela n’est pas faux ; et on note que le chef de l’Etat a, dans son discours, évité la complaisance à l’égard du mode de production politique du Burkina Faso quand d’autres pays, autour et alentour, connaissent des évolutions plus chaotiques. Il est vrai que le chaos, le Burkina Faso l’a connu, avec une violence particulière, en 2011. Mais il faut reconnaître que,
depuis ces événements tragiques, la barre a été redressée et que l’évolution du pays s’est faire dans le bon sens. « Grâce au travail, au courage de ses filles et de ses fils, et à l’espace de paix et
de sécurité qu’ils ont su construire sur la base du dialogue et de l’engagement unitaire » a souligné Compaoré. Qui a ajouté, pensant aux évènements de 2011 sans jamais les évoquer : « Cet élan s’est maintenu au cours de l’année 2012, malgré la crise économique et financière qui touche nos principaux partenaires extérieurs de coopération financière et commerciale ». Histoire de montrer la
différence avec ceux qui appellent au secours quand ils sont, chez eux (enfin, si tant est qu’ils soient vraiment chez eux), confrontés à des
« dysfonctionnements », Compaoré n’a pas manqué d’évoquer le « dialogue direct que le peuple entretient avec lui-même et avec ses dirigeants et qui confère à notre expérience démocratique ce caractère apaisé dont nous devons être fiers ». On ne peut que se féliciter, également, que Compaoré
fasse, cette fois, l’impasse sur la promesse d’une « émergence » (même si, immanquablement, il emploie ce mot une fois pour évoquer la SCADD, Stratégie de croissance accélérée et de
développement durable) pour prôner un « Burkina Faso de paix et de progrès dont la résilience inspire respect et considération des autres nations ». A Ouaga, on revient aux fondamentaux et on sort des discours pontifiants sur les « lendemains qui chantent » pour rappeler que le pays est engagé dans un « combat pour le développement ». Et que ce développement passe par « l’éducation, la formation professionnelle, la santé », la « création d’activités productives, d’emplois et de bien-être », y compris dans les villes et les campagnes. Ouaga 2000, après avoir pris trop de distance, se rappelle qu’existent Dédougou, Fada N’Gourma, Ouahigouya… et que les aspirations du peuple burkinabè sont encore relatives aux besoins de base même si la télévision, le téléphone cellulaire, internet, les réseaux sociaux, etc. sont désormais des « produits » communs. Ce n’est là qu’un discours ; mais il
s’inscrit dans une réalité que chaque Burkinabè touche du doigt au quotidien, bien loin des grandes déclarations habituelles des politiques.
Quand Blaise Compaoré a prononcé son discours du « nouvel an », Luc Adolphe Tiao avait donné sa démission du poste de premier ministre depuis le 27 décembre 2012. Normal à la suite des « élections couplées » qui voyaient la mise en place d’une nouvelle Assemblée nationale, même si la majorité demeurait la même (bien qu’amoindrie). Car c’est au sein de cette majorité que le président de la République doit choisir le nouveau premier ministre, désormais responsable devant l’Assemblée nationale. Tiao sera rappelé au service actif le 31 décembre 2012, dans la soirée, dès lors que le chef de l’Etat en aura terminé avec son discours. Rien d’exceptionnel. Si le Burkina Faso, malgré une violence qui demeure une forme d’expression encore trop largement utilisée, a renoué avec la sérénité politique nécessaire au « combat pour le développement », il le doit aussi à Tiao qui a su imposer un style qui, justement, n’en est pas un.
Sur le terrain, en permanence, avec toujours de drôles de « galurins », Tiao a été, depuis sa nomination le 18 avril 2011, en adéquation avec les populations et a su impulser un mode de fonctionnement fait de compétence, de dialogue, de compréhension des situations sans, pour autant,
donner dans la complaisance, le copinage… Du travail, du travail, du travail ; de l’efficience aussi. Rien de la flamboyance qui, parfois, compose le quotidien des chefs de gouvernement qui attendent tout des autres sans jamais rien apporter au pot commun. Tiao a sorti le Burkina Faso d’une crise majeure ; une crise de croissance bien plus que politique mais qui aurait pu, sans la fermeté dont
l’équipe au pouvoir à fait preuve, dégénérer. En l’espace de vingt-et-un mois, Tiao a su redonner aux Burkinabè des raisons d’espérer et, plus encore, de croire que l’action politique, quand elle était collective et non pas individuelle, pouvait déboucher sur des résultats ; pas encore le « bien être » évoqué par le chef de l’Etat mais, manifestement, un mieux être ; autrement dit : être mieux en adéquation avec ce que l’on est fondamentalement !
Pas de révolution. Pas même de mutations. Simplement une meilleure adéquation entre les hommes et les fonctions, les ambitions de l’Etat et l’état de la population. Un retour aux valeurs burkinabè. Celles qui ont fait que ce peuple a su, par lui-même, trouver, en lui-même, les ressources nécessaires pour passer des caps difficiles. Sans pour autant démissionner quant à la nécessaire modernité impulsée, en matière de développement, par son prédécesseur, Tertius Zongo. C’est sans doute un des acquis majeurs du Burkina Faso : cette capacité à capitaliser les différentes expériences (y compris celles qui sont « cahotantes ») quand trop de pays pensent que l’on peut progresser de rupture en rupture jusqu’aux déchirures. Certes, le Burkina Faso demeure un pays pauvre ; mais c’est un pays moins misérable que beaucoup de pays
africains « riches ». Et ce n’est pas par hasard, ni même par prétention, qu’il a cette capacité à s’investir dans le « rétablissement de la paix dans les pays où le dialogue interne a été interrompu, à chaque fois qu’il sera sollicité par la communauté interafricaine et internationale ». Il y a une permanence dans la façon d’être « burkinabè » qui résiste aux alternances (même si ces alternances sont limitées aux postes gouvernementaux).
Pas question pour autant de se laisser aller. Le présent « burkinabè » est ce qu’il est ; son devenir est encore du domaine de l’aléatoire. Sans la vigilance des éléments les plus conscients de la classe politique au pouvoir, de l’opposition et, surtout, de la société civile, les dérives qui caractérisent les constructions humaines auraient emporté depuis longtemps le « Pays des hommes intègres ». Les dérives sont là ; toujours. Et du même coup, les risques : exploitation, corruption, prévarication, concussion… Sans même évoquer le laisser-faire et le laisser aller de trop de responsables (qui ne sont pas que politiques : il y a aussi les cadres de l’administration et, surtout, ceux du secteur privé). Le risque majeur est la cassure du lien entre le « politique » et le « social » (cf. LDD Spécial Week-End 0564/Samedi 22-dimanche 23 décembre 2012). Tiao aime à changer de chapeau ; mais il faut qu’il garde la même tête : froide ! Il a enrayé la crise sociale, il a renoué le dialogue avec l’ensemble des populations, il a mené à bien les réformes politiques nécessaires sans étouffer la croissance économique. Il lui reste à faire la démonstration que cette mutation peut être durable. Et, surtout, profitable à une large majorité de Burkinabè !
La dépèche Diplomatique
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