Burkina Sécurité : A Djibo, « les terroristes ont promis de ne tuer personne actuellement »
Curiosité et peur. Deux sentiments inévitables et indomptables pour un retour sur l’axe Namissiguia-Djibo en moins de 8 mois. Curiosité de journaliste de voir ce qu’est devenu le tronçon Namissiguia-Djibo contrôlé il y a quelques mois par des hommes armés non identifiés de même que la ville, et peur d’être les probables victimes de ces hommes « sans foi ni loi » si jamais un incident se produisait.
Que nous réservait donc cet axe surnommé le couloir de la mort ? Où en était aujourd’hui la capitale du Soum, coupée du reste du pays pendant deux mois, lorsque nous avons effectué l’aller-retour de tous les dangers en mai 2020?
Autant de questions qui nous “terrorisaient” intérieurement au départ de Ouaga pour Djibo fin décembre. Premier élément déclencheur d’un flot de souvenirs, le lieu de rendez-vous pour le départ, le même qu’il y a 7 mois : le stade du 4 août de Ouagadougou. Les images les plus macabres nous reviennent en boucle dans la tête. De même que les propos de l’émir de Djibo sur Radio Oméga qui rassurait : « La situation est redevenue calme à Djibo. Les gens vaquent à leurs occupations. Ceux qui sont courageux peuvent même voyager à l’intérieur de Djibo ». Certes des propos rassurants venant de cette autorité morale de la province du Soum mais…
Trêve de pensées lugubres, il est l’heure du départ, alors que le soleil éclaire la capitale burkinabè
Le convoi prend la route du Djelgodji (nom donné à la province orientale de l’empire du Macina, et qui concerne une partie du nord de l’actuel Burkina Faso). Il est bien moins imposant que lors du précédent voyage à Djibo. Nous sommes cette fois avec la coalition Jam pour la paix et la cohésion sociale, un groupe d’organisations de la société civile qui prône le vivre-ensemble entre communautés. C’est cette coalition qui organise le convoi de ce jour, pour lancer à Djibo une caravane de la paix et de la cohésion sociale. « Que Dieu nous protège jusqu’à notre retour », prie à haute voix le conducteur pendant qu’il met sa ceinture de sécurité. « Amen », nous sommes-nous contentés de répondre en chœur, passagers, nous attachant à notre tour à nos sièges.
Chose curieuse vite remarquée par le journaliste : aucune présence de forces de défense et de sécurité autour du convoi composé d’une dizaine de voitures 4X4 et d’un bus transportant des membres de la coalition.
“On va vraiment y aller comme ça?” ne pouvons-nous nous empêcher de nous questionner in petto, jettant par réflexe plusieurs fois des coups d’œil pour voir si des FDS nous rejoignaient. Rien. Enfin, jusqu’à la sortie de Ouagadougou, route de Kongoussi.
Non loin du péage, l’escorte militaire est bien là
Ouf! Le dispositif est tout de même assez léger à notre goût. Juste deux pick-ups de l’armée chargés et des binômes de militaires à motos. Premier arrêt à Kongoussi, bref, une “pause technique” pour ne pas dire “pause-pipi” pour permettre aux caravaniers de libérer leurs vessies. Les «pauses techniques» vont se multiplier entre Kongoussi et Djibo, un tronçon long de 96 km. A chaque arrêt, les caravaniers sortent des véhicules, certains se dirigent dans les buissons, sous le regard rassurant des forces de défense et de sécurité qui nous accompagnent.
Une scène qui nous fait sourire : il y a 7 mois quand nous prenions la route, il fallait être fou pour être aussi détendu lors des multiples pauses que nous avions faites, mais sans jamais descendre des véhicules. Les soldats prenaient position autour du convoi et étaient prêts à ouvrir le feu au moindre mouvement dans les buissons. L’atmosphère était plus tendue. On avait l’impression que le temps s’arrêtait en même temps que le convoi.
Cette fois, c’est même plus convivial. Les civils pouvaient échanger quelques mots avec les hommes en treillis, le temps d’un arrêt. C’est le cas lorsque nous arrivons à Bourzanga. Au check-point de la gendarmerie, les caravaniers ont tenu à encourager les «boys» déployés sur le terrain de la lutte contre le terrorisme.
Un nouveau détachement à Gaskindé
Jusqu’ici, nous sommes rassurés. Mais nos plus grandes craintes concernent en réalité la zone située entre Namsiguia et Djibo. C’est là où le député-maire de Djibo, Oumarou Dicko a été assassiné le 3 novembre 2019 par des personnes armées non identifiées, là où le grand imam de Djibo Souaibou Cissé a été enlevé le 11 août 2020, avant d’être retrouvé mort 4 jours après, pour ne citer que ces deux cas.
En mai dernier, quand nous arrivions à Namissiguia, direction Djibo, nous avons dénombré plus d’une dizaine de camions chargés de marchandises faisant la queue à la sortie de ce village, attendant le moindre gage de sécurité pour prendre la route. Aujourd’hui, le scénario est tout à fait différent. Les véhicules vont et viennent, sans escorte. Notre surprise a été grande lorsque nous avons croisé des bus de compagnies de transport de voyageurs en provenance de Djibo. « Ce car revient de Djibo. Beaucoup de compagnies de transport ont repris la route Ouaga-Djibo », confirme l’un de nos compagnons de route, originaire de Djibo, à la vue du premier bus.
Comme à notre première mission, le convoi évite la route principale, préférant emprunter des pistes moins officielles. On n’est jamais trop prudent, dit-on. Plus la colonne avance, plus le trafic se réduit, pour ne presque plus exister, en dehors d’un minicar, communément appelé “Dina” et de quelques motocyclistes que nous rencontrons au milieu de ce qui était un “no mans land” il y a encore trois mois.
A Gaskindé, épicentre de la zone dangereuse, le convoi marque un nouvel arrêt. L’escorte est relevée par une nouvelle équipe venue de quelques petits kilomètres de là. Au milieu de la brousse, nous apercevons un long mur barbelé. Cette forteresse bâtie au milieu du désert est en fait un nouveau camp militaire installé il y a tout juste deux mois pour faire face à la situation qui devenait intenable pour les populations du Soum.
A côté de nous, l’ambiance parait sereine et les discussions sont ponctuées de fous rires entre soldats. Les uns se réhydratent avec un peu d’eau, d’autres s’étirent, pendant que quelques-uns prennent position au bord de la route pour surveiller les alentours. Certains profitent même du moment pour jeter un coup d’œil sur leurs smartphones. La scène finit de nous convaincre d’une nette amélioration de la situation sécuritaire dans la zone. C’est après une quinzaine de minutes que nous reprenons la route pour Djibo. Sans surprise, aucun camion n’est stationné à l’entrée de la ville comme c’était le cas en mai dernier. Dans la ville, les commerces sont ouverts, les bornes fontaines sont bondés de monde. Nous arrivons peu avant 16 heures à notre pied-à-terre où nous devrons passer la nuit. Pour des raisons de sécurité, les caravaniers sont priés de rester sur place.
Djibo, “ville martyr”
Au réveil, le lendemain, nous avons comme un sentiment de soulagement. Nous venons de passer notre première nuit à Djibo, la ville qui a tant fait parler d’elle, tellement elle vivait au rythme des enlèvements et autres attaques perpétrés par ces fameux hommes armés non identifiés, appelés HANI par les militaires. « C’est la première fois depuis longtemps que je passe toute une nuit à Djibo sans entendre un seul coup de feu », lance Amadou Dicko, journaliste à la télévision privée LCA. Il est natif de Djibo et il y vient souvent pour rendre visite à sa famille. «D’habitude, la nuit on entend beaucoup de tirs. Soit ce sont des terroristes qui tirent, soit c’est l’armée qui tire pour signaler sa présence », appuie-t-il.
A 9 heures, direction la mairie de la commune de Djibo où se tient le forum de lancement de la caravane pour la paix et la cohésion sociale. Aux alentours de la mairie, la vie semble normale. Des motocyclistes roulent à vive allure. Des enfants bruyants juchés sur une charrette tirée par un âne jettent un œil curieux dans la cour. Les magasins tout autour sont ouverts. Djibo revit! L’ambiance semble des plus normales jusqu’à ce que notre regard se porte sur ce qui servait d’agence à une banque commerciale, à quelques dizaines de mètres de là. La bâtisse abandonnée aux temps chauds de l’insécurité dans la ville n’a pas encore rouvert, rappelant que la situation n’est pas encore totalement rétablie.
Dans les rues de la “ville martyr” de l’insécurité au Burkina, peu de Djibolais acceptent parler dans notre micro. Tous se montrent méfiants. Mais un petit tour nous permet de constater que la vie reprend progressivement. Le litre de l’essence super 95 vendu en avril dernier à 2000 voire 3000 francs CFA est aujourd’hui à 900 francs. Ousmane Maïga, habitant de Djibo, venu participer au forum, accepte de nous parler à visage découvert, une autre avancée notable. « La paix est en train de revenir et on dort tranquille ces temps-ci », nous dit-il. « Aujourd’hui Djibo est remplie. Pourtant, il y a 6 mois on pouvait compter les habitants de Djibo », a-t-il ajouté, avant de poursuivre : « actuellement malgré le couvre-feu, à 20 heures il y a encore des gens dehors. Alors qu’à une certaine période, même sans couvre-feu, à 18h il n’y a plus personne dehors ». Des propos confirmés par Adama Koné, un natif de la province, qu’il a d’ailleurs fuie pour Ouaga, du fait de la situation sécuritaire. « Selon certains Djibovillois que nous avons approchés, il y a très longtemps qu’ils ont entendu des coups de feu dans la ville de Djibo, même les tirs de sommation que faisait l’armée entre temps aux heures de couvre-feu », a-t-il rapporté. « Ça veut dire que c’est un peu relaxe par rapport à avant. Nous pouvons dire que l’espoir est en train de renaître », a ajouté le maître de cérémonie du jour, l’air confiant.
« Il y a encore une petite peur, mais elle n’est pas aussi grande que celle de la dernière fois », confie pour sa part Hamadoun Dicko, membre de la Coalition Jam pour la paix et la cohésion sociale, et initiateur du Groupe d’action pour le Soum qui a organisé en mai 2020 dans cette même salle de fêtes de la mairie, une cérémonie de don de vivres et de médicaments aux populations, alors coupées du reste du pays. « Quand on venait, on a vu des corps, on a vu des véhicules qui étaient bloqués sur l’axe, des camions de transport de marchandises qui étaient bloqués des deux côtés. Cette fois-ci la route est libre et il y a quand même la présence des militaires sur l’axe (Namissiguia-Djibo, ndlr). Tout cela réconforte », a-t-il expliqué.
La paix avec les terroristes ?
« On ne pouvait même pas sortir de la ville de Djibo. Toutes les issues étaient fermées : la route de Ouahigouya, la route de Dori, la route de Ouagadougou, je ne parle pas des routes qui mènent vers le Mali. Maintenant la situation est un peu paisible. Les gens peuvent vaquer à leurs occupations. Les plus courageux peuvent aller même plus au nord », dresse de son côté Boubacari Dicko, le très respecté émir de Djibo, autorité morale de la province du Soum.
«Les djihadistes ont promis de ne tuer personne actuellement »
«Les djihadistes ont promis de ne tuer personne actuellement », assure-t-il. En contrepartie, les « djihadistes » peuvent venir et repartir sans être inquiétés, selon les explications de l’émir. « Actuellement il y a une certaine paix, parce qu’eux-mêmes peuvent venir dans la ville de Djibo, mais sans armes. Celui qui veut il dépose son arme quelque part et il vient dans la ville », déclare l’émir, sans pour autant donner de détails sur les conditions de négociation de cette « paix » apparente. Pour un retour définitif de la paix et de la sécurité dans la province du Soum, l’émir Boubacari Dicko a sa recette : « ce qu’on doit rechercher d’abord, c’est la paix sociale entre nous qui sommes là et qui habitons ensemble. Si nous arrivons à trouver cette paix, on peut maintenant appeler les djihadistes pour leur retour ».
Ousmane Maïga, lui, insiste sur la nécessité de bitumer le tronçon Namissiguia-Djibo pour la rendre plus sécurisée. « La route, c’est ce qui fait Djibo. Sans cette route, la vie à Djibo serait compliquée », pense-t-il. Il salue néanmoins la présence des militaires sur l’axe depuis deux mois. « Avec la sécurité sur la route les véhicules viennent nombreux. Le commerce reprend. Avant cela, les camions pouvaient faire 2 ou 3 semaines sans pouvoir entrer dans la ville. Ceux qui transportaient des produits périssables faisaient beaucoup de pertes », rappelle-t-il.
Les travaux de bitumage de la route Kongoussi-Djibo ont été lancés le 12 août 2016 par le Premier ministre Paul Kaba Thiéba à Djibo même, mais le chantier a été abandonné définitivement en novembre 2018 par les entreprises engagées, dans un contexte d’insécurité de plus en plus accrue. Lors de la visite du Président du Faso Roch Kaboré le 18 juin 2020 à Djibo, la société civile locale lui avait adressé comme principale doléance la sécurisation et le bitumage de la route Kongoussi-Djibo. Roch Kaboré avait promis des concertations entre le gouvernement, les entreprises en charge des travaux et les forces de défense et de sécurité afin de résoudre « au plus vite », le problème. En attendant de voir traduire ces promesses en actions concrètes, Djibo tente visiblement, tant bien que mal, de trouver son propre chemin pour survivre.
Abdoul Fhatave Tiemtoré, de retour de Djibo
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