Blaise Compaoré répond, « dans l’urgence », aux questions de l’émission « Internationales » (TV5/RFI/Le Monde).
C’est Denis Sassou Nguesso, le président congolais qui était annoncé. C’est Blaise Compaoré, le président du Faso qui a réalisé l’exercice. « Dans l’urgence ». C’est le sentiment qui domine. L’un et l’autre étaient présents à Paris pour le sommet Afrique-France rebaptisé conférence sur la paix et la sécurité en Afrique.
Sassou était annoncé sur le plateau de l’émission « Internationales » managée par Philippe Dessaint (TV5Monde) avec le concours de Sophie Malibeaux (RFI) et de Christophe Châtelot (Le Monde). Enregistrement en direct le dimanche 8 décembre 2013. Sassou, qui n’est pas en odeur de sainteté à Paris, était sans doute pressé de se rendre à Rome où il avait une audience avec le pape François. Compréhensible : il a sans doute à se faire pardonner quelques fautes.
En fait, il devait enregistrer l’émission le samedi après-midi et ce n’est que deux heures avant le plateau qu’il s’est décommandé, prétextant une extinction de voix. « Je n’en sais rien. Je ne suis pas médecin » me dit Dessaint. Ce n’est pas à Rome que Sassou aurait dû se rendre mais à Lourdes ! Compaoré, quant à lui, devait s’envoler pour Ouaga dans la matinée du dimanche ; il a accepté, « dans l’urgence », de remplacer Sassou au pied levé. Beau geste médiatique qui honore le président d’un pays qui accueille les Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO). Il y a quelques semaines, un contact avec déjà été initié, à Ouaga, entre TV5Monde et la présidence du Faso mais rien n’avait été défini.
L’opportunité s’est donc présentée, hier, dès lors que Compaoré avait accepté de reporter son décollage de quelques heures. « Internationales » a donc été enregistrée à 10 h, à peine plus d’une heure avant sa diffusion, bien que le président du Faso soit bousculé par un emploi du temps serré. Le mercredi 11 décembre 2013 se déroulera à Dori, dans le Nord-Est du Burkina Faso, la fête nationale (événement exceptionnel : le 11.12.13 est une date unique dans le calendrier !) Moins d’une semaine plus tard, le mardi 17 décembre 2013, ce sera la réunion du Conseil de l’Entente à Niamey (Niger). Autant dire qu’il est possible que le président du Faso fasse l’impasse sur les obsèques de Nelson Mandela où il serait alors représenté par son ministre des Affaires étrangères, Djibrill Y. Bassolé. Mais rien n’est encore décidé.
A Paris, Compaoré a été assailli par les médias. L’actualité africaine de ces jours derniers a été particulièrement dense : mort de Mandela ; sommet de Paris ; intervention française en RCA. Et puis il y a encore et toujours le Mali. « Internationales » avec Compaoré comme invité promettait donc. Même si on pouvait regretter que Sassou Nguesso se soit défilé. La grosse actualité c’est quand même bien plus la RCA et l’Afrique du Sud. Or le président congolais est partie prenante dans le dossier centrafricain et il a même fait le déplacement jusqu’en Afrique du Sud pour y rencontrer le président Jacob Zuma qui, lui aussi, est concerné par ce qui se passe à Bangui mais n’a pas jugé utile de faire le déplacement à Paris.
Peu importe : un entretien avec Blaise, c’est toujours un moment d’échange significatif (et parfois même iconoclaste) même si ce n’est pas un exercice auquel il se prête de bon cœur. Toujours dans la retenue, le président du Faso n’aime pas les projecteurs. Ni être bousculé par les journalistes. « Internationales » n’est pas un talk show, c’est une émission d’information ; mais bien sûr tout autant Malibeaux que Châtelot aiment à pousser leur interlocuteur dans ses derniers retranchements.
Pas le genre de Compaoré, pourtant, de se laisser pousser dans les cordes ; il esquive. Ce qui permet un vrai débat quand ses interlocuteurs abordent des sujets où tactique et stratégie l’emportent sur l’anecdotique. Qui n’est pas non plus le genre de Compaoré. Ayant remplacé Sassou Nguesso au pied levé le président du Faso n’était pas au mieux de sa forme « médiatique » ce dimanche, donnant même l’impression d’être peiné d’être là. Manifestement, ses chargés de communication n’ont pas bossé suffisamment cet entretien. D’où une impression de flottement renforcée par le sentiment que les journalistes présents, « spécialistes » de l’Afrique certes mais peu au fait de l’actualité burkinabè, avaient préparé leurs questions pour Sassou pas pour Compaoré*.
Blaise a donc dit des choses banales sur Mandela, s’est réjoui que la paix, la sécurité et les questions climatiques, « défis majeurs pour l’Afrique et le reste du monde » aient été au centre de la conférence de Paris et que l’ONU et l’UE soient présents aux côtés de la France. La Centrafrique, ce n’est pas sa tasse de thé. Bien que formé au Cameroun, ce pays d’Afrique centrale lui est, semble-t-il, méconnu. Il a pourtant rencontré Michel Djotodia à Ouaga, voici peu mais personne n’a abordé la question de savoir ce qu’ils se sont dit. Pour lui, donc, « le premier ennemi de la Centrafrique, c’est l’absence d’Etat et cela depuis des décennies ».
Il s’agit dès lors « d’accompagner » le pays dans l’émergence de cet Etat en procédant comme au Mali : rétablissement des institutions, élections, etc. Sur le Mali, il rappelle qu’en situation de crise « c’est toujours avec l’adversaire que l’on discute » d’où le dialogue avec les groupes armés maliens signataires de « l’accord préliminaire de Ouagadougou ». Il souligne également que dans cette médiation le Burkina Faso ne s’est montré hostile à aucun des acteurs ; il précise d’ailleurs qu’il y a encore 40.000 réfugiés touareg sur son territoire. « Nous essayons d’être justes dans cette crise et d’amener les parties à se comprendre ».
Ce survol général, parfois cacophonique, n’allant jamais au bout de la problématique soulevée, laissait spectateur et auditeur sur leur faim. Jamais Compaoré n’a affirmé son point de vue : pourtant il a réussi la médiation malienne après la médiation ivoirienne sur la base de la restauration des institutions ; certes cela prend du temps (plus de trois ans en Côte d’Ivoire et les choses ne se sont pas, pour autant, passées au mieux), mais le temps de l’Afrique n’est pas celui de l’Occident.
Il n’a jamais rappelé non plus que le parcours du Burkina Faso de l’Etat d’exception à l’Etat « démocratique » était le fait de son équipe alors que son pays est enclavé et qu’il ne disposait pas (jusqu’à l’exploitation des mines d’or) de ressources naturelles significatives. Sur la défensive ; jamais dans l’offensive. Or la pratique française est de confondre le tout et la partie : on noie le Burkina Faso – qui marche comparativement et sachant d’où il vient plutôt pas trop mal – dans une Afrique en mal de gouvernance : Mali et RCA.
L’Afrique est un continent, pas un pays. Il faut cesser d’avoir une vision globale de ce continent. Les Burkinabè sont burkinabè et l’évolution de ce pays est suffisamment significative pour qu’on puisse s’y intéresser sans donner dans l’éternel débat (stérile) franco-français sur l’Afrique et la « Françafrique ». Peut-on reprocher à Compaoré que lorsque la télévision française parle de l’Afrique, plus de cinquante ans après les indépendances, c’est toujours pour parler des crises ? Par contre, on peut lui reprocher de n’être jamais offensif face à ses interlocuteurs : trop Mossi pour dire les choses telles qu’elles sont… !
Du même coup, sur la question qui titillait les journalistes : celle de sa succession, il est dans un flou que les médias n’ont pas fini d’exploiter. Il est au pouvoir depuis « un moment » dit-il et n’entend pas aborder la question de ce qui se passera en 2015. La limitation du mandat présidentiel est inscrite dans la Constitution. Mais la Constitution dit aussi comment on peut changer les choses. Pour le reste, sa vision est que les populations veulent la paix et la stabilité. Ce qu’il a apporté au pays. Nul doute que le commentaire sera simple : « J’y suis. J’y reste ». Un peu trop simple… La pensée de Compaoré est bien plus complexe que cela.
* La question sur le rôle de la Chine en Afrique était valable pour le Congo, pas pour le Burkina Faso qui a des relations diplomatiques avec… Taïwan, ce que personne n’a relevé.
Jean-Baptiste BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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